Accéder au contenu principal

Des paroles aux actes

agriculteur

L’agriculture française vient de se confronter à un effet papillon, cette image qui illustre la théorie du chaos et qui veut qu’un battement d’ailes à l’autre bout du monde enclenche de lourdes conséquences à des milliers de kilomètres. L’effet papillon, c’est le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie) qui pourrait être sur la table du prochain sommet du G20 le 18 novembre à Rio. La perspective de la signature de ce traité – à laquelle s’oppose, bien seule, la France – constitue un casus belli pour les agriculteurs français et vient souffler sur les braises de la colère paysanne de janvier dernier que certains avaient un peu vite oubliée. Car rien n’est réglé…

Il y a dix mois, en effet, le monde paysan avait crié sa colère et sa détresse, au départ de l’Occitanie, en faisant monter des tracteurs à Paris, en bloquant les autoroutes ou en assiégeant des préfectures. Face à cette crise historique, le jeune Premier ministre Gabriel Attal avait dû sortir le carnet de chèques et multiplier les promesses pour apaiser un secteur capital pour la France. Simplification administrative, renforcement de la loi Egalim, suspension de la hausse de la redevance sur l’eau, moratoire sur les jachères obligatoires, etc. : son « plan d’urgence » pour l’agriculture se voulait ambitieux. Presque un an plus tard, force est de constater que si certaines avancées sont indéniables, le compte n’y est toujours pas pour nombre d’agriculteurs.

Certes, depuis janvier, le budget 2025 du ministère de l’Agriculture a été sécurisé dans un contexte d’économies budgétaires et il est même en hausse. Certes, Annie Genevard assure à tous ses interlocuteurs qu’elle sera « la ministre du respect des engagements de l’État ». Mais sur le terrain, les agriculteurs dénoncent la lenteur de mise en œuvre des mesures promises, englués qu’ils sont dans un maquis administratif kafkaïen. La simplification tarde à venir, les contrôles tatillons persistent, des prix enfin rémunérateurs face à la grande distribution et aux industriels se font attendre.

Cette impatience légitime se double d’inquiétudes persistantes. La concurrence déloyale de certaines importations reste une épine dans le pied de notre agriculture, les normes environnementales, si elles sont nécessaires, continuent de peser lourdement sur la compétitivité des exploitations françaises, les épidémies animales subsistent et l’épée de Damoclès du changement climatique n’a jamais semblé aussi menaçante, entre sécheresses à répétition et épisodes météorologiques extrêmes comme on l’a encore vu cette semaine.

Le Mercosur aura finalement été le déclencheur d’une remobilisation prévue le 15 novembre, mais qui couvait depuis plusieurs semaines. Le monde paysan, à bout de nerfs, va à nouveau se faire entendre sur fond de débat budgétaire, mais aussi d’élections professionnelles où le tandem FNSEA-JA se trouve bousculé par la radicalité de la Coordination rurale ou celle d’agriculteurs qui disent aujourd’hui n’avoir « plus rien à perdre ».

Rien ne serait pire pour le gouvernement que de jouer la montre. Sur un sujet aussi transverse qui mêle des questions de souveraineté alimentaire, d’aménagement des territoires, de compétitivité économique, de transition écologique, Michel Barnier doit passer des paroles aux actes forts.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 23 octobre 2024)

Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

Le prix de la sécurité

C’est l’une des professions les plus admirées et respectées des Français, celle que veulent exercer les petits garçons et aussi les petites filles quand ils seront grands, celle qui incarne au plus haut point le sens de l’intérêt général. Les pompiers, puisque c’est d’eux dont il s’agit, peuvent évidemment se réjouir de bénéficier d’une telle image positive dans l’opinion. Celle-ci les conforte et les porte au quotidien mais si elle est nécessaire, elle n’est plus suffisante pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, opérationnelles, humaines et financières. Opérationnelle d’abord car leurs missions ont profondément changé et s’exercent avec plus de contraintes. De l’urgence à intervenir pour sauver des vies – presque 9 opérations sur 10 – on est passé à des interventions qui ne nécessitent parfois même pas de gestes de secours et relèvent bien souvent davantage de la médecine de ville voire des services sociaux. C’est que les pompiers sont devenus l’ultime recour...

Principes et réalité

Seize mois après les manifestations historiques des agriculteurs, nées en Occitanie à l’hiver 2024 en dehors des organisations syndicales traditionnelles, voilà la colère paysanne de retour. Ce lundi, à l’appel notamment de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, et après de nombreuses actions ponctuelles ces dernières semaines, les tracteurs seront, en effet, à nouveau dans les rues pour dire l’exaspération des agriculteurs de voir les mesures promises si lentes à se mettre en place et pour rappeler l’urgence à agir aux députés, qui examinent ce lundi à l’Assemblée nationale une proposition de loi clivante lancée par le sénateur LR Laurent Duplomb. Ambitionnant de « lever les contraintes », ce texte, plébiscité par le monde agricole mais qui ulcère les défenseurs de l’environnement et les tenants d’un autre modèle agricole, propose entre autres de faciliter le stockage de l’eau, de simplifier l’extension des élevages, de réintroduire certains pesticides dont un néonicotinoïde qu...