Emmanuel Macron et Bruno Retailleau se sont rencontrés lundi matin. Il s’agissait de la première entrevue entre les deux hommes depuis la nomination du gouvernement Barnier, il y a un mois. L’entretien, qui a duré une heure trente, s’est bien passé selon les entourages du président de la République et du ministre de l’intérieur qui, il faut bien le dire, sont aux antipodes l’un de l’autre sur la forme et le fond.
Rien de commun, en effet, entre le jeune président libéral adepte du en même temps, promoteur de la start-up nation disruptive et dont la déroutante plasticité le rend difficile à suivre y compris dans son propre camp, et l’ex-sénateur vendéen formé par Philippe de Villiers, aussi raide que courtois, tenant constant d’une droite dure mais claire, pétrie de certitudes et arc-boutée sur un corpus de valeurs conservatrices et catholiques. Et pourtant l’ancien banquier d’affaires citadin et le terrien rural attaché à son bocage et sa ferme de Saint-Malô-du-Bois sont dans le même bateau…
Aussi éloignés soient-ils politiquement et de tempérament, les deux hommes, aujourd’hui condamnés à se supporter, ont toutefois en commun la politique chevillée au corps et mise aux services de leurs idées. Bruno Retailleau en a fait, d’évidence, sa force et dans un gouvernement de novices macronistes ou de seconds couteaux inconnus de chez LR, cet élu expérimenté est immédiatement devenu aux yeux des Français un – sinon le seul – poids lourds de l’exécutif. Conscient que sa nomination improbable – il est issu du parti arrivé 4e aux législatives avec 47 députés – peut aussi être éphémère, Bruno Retailleau veut aller vite pour imposer ses idées, qui flirtent souvent avec celles de l’extrême droite sans jamais les épouser complètement. Même s’il n’a jamais été partisan du front républicain, il s’est ainsi toujours tenu à bonne distance du RN quand certains LR ont fini par pactiser avec lui. Foncièrement républicain, ce politique à l’ancienne est toujours respectueux mais coriace.
Depuis sa nomination place Beauvau, comme jadis Nicolas Sarkozy, le ministre multiplie les déplacements et les déclarations fracassantes pour faire bouger les lignes et imposer ses vues dans le débat public, au risque de heurter des principes aussi fondamentaux que l’État de droit. Qu’importe, Bruno Retailleau, qui se défend de toute idéologie et fustige « l’impossibilisme juridique », joue l’opinion contre les partis et déroule, de télés en radios, ses propositions, comme il l’a fait hier devant nos lecteurs, sur la restauration de l’ordre, le rôle de la police, la lutte contre la drogue, la maîtrise de l’immigration ou les OQTF – sans souvent en préciser les modalités. Cette précipitation lui a par le passé été préjudiciable. Les modifications qu’il voulait imposer dans la loi asile immigration de 2023 ont été sèchement retoquées par le Conseil constitutionnel. Un peu comme les hotspots albanais de Giorgia Meloni pour déplacer les migrants arrivés en Italie et que Bruno Retailleau imagine pouvoir reproduire en France, mais qui ont été invalidés de façon cinglante par un tribunal de Rome…
Pas de quoi décourager le ministre dont les propositions en la matière rencontrent de bons sondages qui le convainquent d’accélérer, même sans majorité à l’Assemblée. Bruno Retailleau, réputé grand bosseur, est aussi, dit-on, grand lecteur. Peut-être d’Alexandre Dumas qui donnait ce conseil : « Si tu deviens homme d’État, n’oublie pas que le grand secret de la politique est dans ces deux mots : savoir attendre. Si tu es ministre, souviens-toi qu’on se tire de tout avec ces deux mots : savoir agir. » Incontestablement, Bruno Retailleau veut agir, mais saura-t-il aussi attendre ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 26 octobre 2024)