Un meurtre sordide qui scandalise et émeut – à raison – l’opinion, un dossier d’évidence entaché d’un dysfonctionnement de la chaîne judiciaire et qui implique un ressortissant étranger sans papier qui aurait dû être expulsé ; un énième règlement de compte meurtrier sur fond de trafic de stupéfiants impliquant un mineur ; une attaque violente contre les forces de l’ordre, leur matériel comme leur intégrité physique, qui révolte les Français… Autant de dossiers – le meurtre de Philippine, le tueur à gage de 14 ans de Marseille, l’attaque du commissariat de Cavaillon – qui, cumulés avec d’autres, électrisent le débat public. Fortement médiatisés, notamment par certaines chaînes d’information en continu, ils suscitent aussi des déclarations politiques – particulièrement à droite et à l’extrême droite promptes à les instrumentaliser – sur l’habituel et prétendu laxisme de la justice et sur la nécessité qu’il y aurait à en finir avec les règles l’État de droit…
Ces politiques qui se précipitent pour réagir à l’emporte-pièce et jeter de l’huile sur le feu, devraient peut-être assister une après-midi de leur vie à une audience correctionnelle dans n’importe quel tribunal de France pour mesurer ce qu’est vraiment la justice française et comment elle se rend. Ils verraient alors la complexité des procédures, dont certaines s’étirent sur des mois et des années, la diversité des affaires qui sont minutieusement jugées souvent jusqu’au bout de la nuit, la mobilisation sans faille des magistrats du siège et du parquet, des greffiers, des policiers ou gendarmes bloqués la journée pour assurer l’escorte d’un prévenu, des avocats qui défendent avec rigueur une victime ou l’auteur des faits. Et ils verraient alors que la justice n’est pas laxiste mais qu’elle applique tout simplement le droit.
Le sentiment que la justice est laxiste, qu’elle donne plus de droits aux délinquants qu’aux victimes, est toutefois une réalité, partagée par une majorité de Français quelles que soient leurs opinions politiques. Opposer simplement les chiffres qui montrent le contraire ne sera pas suffisant, le nouveau ministre de la Justice le sait bien. Confronté aux sorties de son collègue de l’Intérieur, le très droitier Bruno Retailleau, Didier Migaud sait bien que pour redonner confiance aux Français dans leur justice – sa priorité dit-il dans l’interview qu’il nous accorde – il faudra davantage montrer que l’institution n’est pas enfermée dans une tour d’ivoire mais prête à répondre aux attentes des Français qui veulent une justice moderne.
Tout cela nécessite des moyens et une vision ambitieuse. Les moyens budgétaires ont été améliorés sous Eric Dupond-Moretti pour rattraper le scandaleux retard de la justice française par rapport à ses homologues européennes. La vision, qui ne saurait déroger aux règles de l’État de droit et aux engagements européens de la France, doit permettre d’adapter le droit aux nouvelles formes de délinquance.
Le fonctionnement de la justice, trop méconnu, et son évolution doivent être mieux expliqués aux Français pour être mieux compris. Alors, au lieu d’une République des juges fantasmée, ils verront des juges au service de la République, c’est-à-dire à leur service.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 11 octobre 2024)