Un adolescent de 14 ans recruté comme tueur à gages par les réseaux criminels marseillais. L’affaire, qui a vu un chauffeur de VTC tué de sang-froid, a provoqué une onde de choc dans la société française, qui a découvert avec effroi combien le trafic de drogue se diffusait jusqu’à impliquer des mineurs. Ce dossier glaçant permettra-t-il une prise de conscience à tous les niveaux ? En tout cas l’affaire marque un tournant dans l’histoire déjà sombre du narcotrafic en France. De la French Connection des années 70 aux guerres de territoires actuelles, notre pays semble ne jamais parvenir à endiguer ce fléau qui gangrène nombre de quartiers populaires des banlieues françaises, mais pas seulement eux puisque le trafic se diffuse aussi vers les villes moyennes voire le monde rural.
Marseille, bien sûr, cristallise toutes les tensions. La cité phocéenne, jadis plaque tournante mondiale de l’héroïne, voit aujourd’hui ses quartiers nord transformés en quasi-zones de non-droit où les règlements de comptes sont devenus presque quotidiens. Les chiffres donnent le vertige : plus de 45 morts en 2023, des adolescents de plus en plus jeunes impliqués dans les trafics, des familles et des habitants terrorisés qui se sentent complètement abandonnés.
Face à cette situation explosive, les autorités semblent, de fait, désarmées. Les opérations « Place nette XXL », largement médiatisées, relèvent davantage du coup de communication que d’une stratégie cohérente de long terme. Ces interventions spectaculaires, si elles permettent bien sûr des saisies ponctuelles, ne s’attaquent pas aux racines du mal : la pauvreté endémique de ces territoires qui constituent le terreau idéal des réseaux criminels. Car c’est bien là que réside le nœud du problème : dans ces cités où le taux de chômage des jeunes dépasse parfois les 40 %, le trafic de drogue apparaît comme l’unique ascenseur social. Les « chouffeurs » de 12 ans peuvent gagner 100 euros par jour, les « vendeurs » plusieurs milliers d’euros par mois. Face à ces sommes mirobolantes, que pèsent les discours de prévention ?
L’arsenal juridique français montre également ses limites. L’absence d’un parquet national antidrogue dédié, sur le modèle de celui qui existe pour l’antiterrorisme, fragilise, d’évidence, la réponse judiciaire. Les magistrats, submergés par le nombre d’affaires, peinent à démanteler les réseaux dans leur globalité. Pendant ce temps, les organisations criminelles se professionnalisent, utilisant des technologies de pointe et diversifiant leurs activités. Nous sommes passés d’un trafic « artisanal », certes violent mais hiérarchisé, à une nébuleuse de gangs ultraviolents qui n’hésitent plus, on l’a vu, à recruter des mineurs comme tueurs.
Face à ce constat alarmant, une réponse globale s’impose. Invité pour répondre aux lecteurs de La Dépêche vendredi dernier, le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a dit vouloir faire du combat contre le narcobanditisme générateur d’hyperviolence une cause nationale. Il promet une nouvelle méthode plus précise, plus ciblée, la création d’un parquet national dédié et des campagnes d’information et de sensibilisation auprès des consommateurs. Cet arsenal policier et judiciaire actualisé est sans doute indispensable, mais il ne sera pas suffisant s’il ne s’accompagne pas d’une véritable politique de la ville qui fait aujourd’hui défaut pour apporter d’autres perspectives et chasser le narcotrafic des quartiers.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 28 octobre 2024)