Le choc a été d’autant plus rude que personne ne s’y attendait : le Budget 2025, présenté jeudi soir en Conseil des ministres et qui a commencé son marathon parlementaire hier à l’Assemblée nationale, acte la suppression de 4 000 postes d’enseignants. Alors qu’il y a quelques semaines à peine la communauté éducative déplorait un manque de quelque 3 000 enseignants, la voilà qui fait face à une véritable saignée, la plus grosse coupe en matière de personnels dans le nouveau Budget. Une décision qui va toucher essentiellement le premier degré public (maternelle et élémentaire) avec une baisse de 3 155 postes contre 660 dans le privé. Le second degré public (collèges et lycées) perd lui 180 postes contre 40 dans le privé.
Le gouvernement a beau jeu d’expliquer que le Budget de l’Éducation nationale reste le premier de l’État (63 milliards d’euros, en hausse de 800 millions), qu’il prévoit le financement de 2 000 AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) supplémentaires et que cette diminution drastique se justifie par « la baisse du nombre d’élèves qui devrait s’accélérer avec 97 000 élèves en moins à la rentrée 2025 », cette annonce est terrible car elle signifie que l’école – et surtout l’école publique – est devenue une variable d’ajustement budgétaire, très loin du rôle ambitieux que les discours de ces dernières semaines semblaient lui assigner.
« L’école restera la priorité, nous voulons renforcer l’attractivité de la mission d’enseigner », disait ainsi le Premier ministre Michel Barnier il y a à peine 12 jours dans son discours de politique générale, lui qui, candidat à la primaire de la droite pour la présidentielle, appelait même dans une tribune en 2021 à « faire de l’éducation la grande cause nationale du prochain quinquennat »… « L’école restera bien la priorité du gouvernement, l’école de la République », assurait en quittant Matignon le 5 septembre, Gabriel Attal, éphémère ministre de l’Éducation nationale. Autant d’engagements que les enseignants peuvent légitimement estimer trahis aujourd’hui.
Cette annonce brutale qui confine au mépris souligne aussi combien la nouvelle ministre de l’Éducation nationale Anne Genetet – qui ne doit son poste qu’à des considérations de politique politicienne et pas à ses compétences, nulles en matière d’Éducation – pèse peu. Là où d’autres ministres ont sécurisé leur budget à l’heure où l’État cherche à faire des économies tous azimuts, elle a été dans l’incapacité de s’opposer à ces 4 000 suppressions. Son ministre délégué à la Réussite scolaire, Alexandre Portier, ardent défenseur de l’école privée, ne semble pas non plus avoir levé le petit doigt.
Anne Genetet écrit dans le document de présentation du Budget de son ministère que « le cœur de la bataille pour notre École, c’est d’élever le niveau de tous les élèves grâce à l’exigence pédagogique et à la transmission des savoirs fondamentaux à tous les niveaux de la scolarité. » Comment cette élévation du niveau pourrait-elle se faire avec moins d’enseignants, qui sont moins payés en moyenne que leurs homologues en Europe, font face aux classes les plus chargées, et qui doivent mettre en place une kyrielle de réformes controversées – chocs des savoirs, bac, groupes de niveau – pilotées par rien moins que six ministres en sept ans ? Il reste à espérer que le Parlement corrige ce budget et évite à l’école publique cette dangereuse saignée, ce sacrifice qu’elle ne peut se permettre.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 12 octobre 2024)