Plus d’un mois après les élections législatives qui ont placé en tête le Nouveau Front populaire mais n’ont donné à aucun des blocs une majorité absolue, la France ne dispose toujours pas de Premier ministre ni de gouvernement. Et la vie démocratique a été comme mise sur pause, comme s’il n’était pas primordial de traduire en actes concrets le résultat des élections législatives et donc la volonté du peuple français de changer la politique menée jusqu’à présent.
Pour Emmanuel Macron, qui a provoqué cette situation inextricable par une dissolution qui n’a finalement apporté aucune clarification mais ajouté un peu plus de confusion, il est temps de sortir de cette procrastination qui finit par miner la confiance déjà bien faible entre les citoyens et la classe politique.
Certes, l’article 8 de la Constitution ne prévoit pas de délai à la nomination d’un Premier ministre, certes face à la situation exceptionnelle d’une Assemblée éclatée comme jamais, Emmanuel Macron pouvait attendre quelques jours de voir si des accords de gouvernement allaient se nouer. Mais le président de la République a bien l’obligation de procéder à cette nomination sans la conditionner à un accord de coalition dont il aurait lui-même fixé et le périmètre et le casting.
La tradition républicaine voudrait qu’il charge la formation arrivée en tête de former un gouvernement, fut-il éphémère et ensuite défait – ou pas – par une motion de censure. Ce serait là la vie parlementaire. Mais pour cela, Emmanuel Macron, qui a tardé à reconnaître la défaite de son camp, devrait se résoudre à être un président en retrait du Parlement, ce qui n’est guère le caractère de celui qui ne veut pas voir détricotée sa politique, notamment économique.
Prenant l’exemple des Jeux olympiques dont le succès peut être attribué à la capacité de personnalités politiques opposées à travailler ensemble, Emmanuel Macron veut croire qu’une grande coalition républicaine allant des sociaux-démocrates à la droite LR est toujours possible. Las ! Pour l’heure, il s’agit d’un vœu pieux : chaque camp a bien proposé des pactes de gouvernement, avancé des priorités, assuré de sa volonté de dialoguer et de s’ouvrir, mais chacun est resté dans son couloir de nage, espérant être rejoint par les autres plutôt que de faire un pas vers eux. « On a parfois l’impression que les femmes et les hommes politiques ne veulent plus gouverner par peur des difficultés », a relevé fort justement Gérald Darmanin, pointant là tout le nœud du problème.
Non seulement la France n’a ni la culture du compromis ni celle des grandes coalitions comme en Allemagne, mais son agenda politique est écrasé par l’élection présidentielle dont tout découle. À deux ans et demi de la prochaine échéance, aucun camp ne semble ainsi vouloir risquer de s’abîmer dans un gouvernement qui devrait naviguer à vue avec une Assemblée si imprévisible, et cela afin de préserver ses « chances » pour 2027.
Les Français attendent mieux que ces petits calculs électoraux, et aimeraient sans doute que la classe politique se remémore les mots de Pierre Mendès-France : « La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral. »
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 14 août 2024)