Alors que la France rend hommage à Alain Delon, un film du palmarès de l’acteur disparu samedi revient en mémoire tant il semble coller à l’actualité : « Le Guépard », de Luchino Visconti. Non pas que la situation politique de la France soit similaire à celle de l’Italie au moment où elle engageait son unification, mais pour une phrase prononcée par le personnage de Delon, Trancredi Falconeri, à son oncle, le prince Salina-Burt Lancaster : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout. » Depuis les élections européennes et législatives, qui ont lourdement sanctionné le camp présidentiel, les Français ont un peu le sentiment que Tancredi-Macron a fait sienne la célèbre formule.
Il faut que tout change pour que rien ne change ? Tout changer avec une dissolution aussi risquée avec un RN aux portes du pouvoir que décidée à l’emporte-pièce ; et finalement tout faire pour que rien ne change, pour continuer comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé les 9 juin, 30 juin et 7 juillet, comme si le résultat des élections ne comptait finalement pas, comme si les Français n’avaient pas sanctionné la politique conduite par Emmanuel Macron et demandé qu’il en soit mené une autre, par un autre gouvernement, comme si les Français n’avaient pas, aussi, sanctionné une façon très verticale et solitaire d’exercer le pouvoir.
On comprend bien que l’absence de majorité absolue à l’Assemblée éclatée en blocs parlementaires qui se regardent en chien de faïence les uns les autres, s’écrivent mais ne se parlent pas, proposent des pactes de gouvernance mais chacun dans son coin, soit une situation inédite et inextricable, désespérante même. On comprend aussi que le Président, gardien des institutions, veuille éviter à la France une succession de gouvernements sans majorité, aussitôt nommés, aussitôt censurés. Mais le temps de la « clarification », de la « décantation », de la trêve politico-olympique, pendant lequel Emmanuel Macron espérait voir émerger une grande coalition est désormais largement dépassé – le gouvernement démissionnaire atteint un record de durée. Cette coalition-là, d’évidence, n’a pu se constituer en raison de l’envie du camp macroniste de rester bon an mal an aux manettes pour préserver sa politique économique, de l’absence de la culture du compromis dans laquelle excellent nos voisins européens ou tout simplement en raison des petits calculs politiciens de chacun en vue de la présidentielle de 2027.
Faute d’avoir respecté la tradition républicaine et nommé la personnalité proposée le 23 juillet par le bloc arrivé en tête aux législatives – Lucie Castets du Nouveau Front populaire – le chef de l’État a perdu du temps plus qu’il n’en a gagné et a laissé s’installer un jeu de dupes. Il va pourtant bien devoir nommer quelqu’un à Matignon et laisser un peu plus de place au Parlement. Sans doute le plus difficile pour Emmanuel Macron, habitué à décider de tout tout seul, et qui, depuis 2017, a inventé de nombreuses instances pour contourner les outils institutionnels existants qu’il percevait comme trop lourds et trop bloquants – du grand débat au Conseil national de la Refondation, des conférences citoyennes aux rencontres de Saint-Denis.
Ce vendredi et lundi, il inaugure une série de consultations pour sonder les partis avant d’annoncer, enfin, qui sera le prochain locataire de Matignon. Qu’il soit politique madré, haut fonctionnaire, grand patron ou une totale surprise, la vraie question est de savoir si Emmanuel Macron est prêt à seulement présider et laisser son Premier ministre gouverner.
Pour le coup ce serait un vrai changement…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 22 août 2024)