La série noire continue pour Boeing. Depuis la crise survenue en 2019-2020 lorsque les Boeing 737 Max étaient restés vingt mois cloués au sol après les crashs d’avions des compagnies Ethiopian Airlines et Lion Air – 346 victimes au total – l’avionneur américain n’en finit plus de cumuler les déboires. Porte arrachée en plein vol d’un Boeing 737 MAX 9 le 5 janvier dernier, problème sur les sièges des pilotes des Boeing 737, témoignages inquiétants d’anciens employés lanceurs d’alerte devant le Congrès, procédures avec la justice américaine, justifications et communications catastrophiques de la part des dirigeants : Boeing ne semble pas quitter une zone de turbulences.
Encore cette semaine, le constructeur de Seattle a dû suspendre les tests en vol de son nouveau gros-porteur 777X après avoir constaté la défaillance d’une pièce reliant le moteur au corps de l’appareil. Cette série d’événement a miné la confiance des passagers dont certains cherchent désormais à éviter d’embarquer à bord d’un Boeing. C’est dire la tâche colossale pour rétablir la confiance qui attend le nouveau PDG Kelly Ortberg, qui a succédé le 8 août à Dave Calhoun, en poste depuis début 2020 et dont le départ avait été annoncé fin mars après une multiplication de problèmes de qualité dans la production.
Certes, si l’on regarde précisément les rapports d’incidents – 14 entre janvier et juin 2024, soit deux fois plus que la moyenne des dix dernières années – on pourrait se rassurer en constatant que tout n’est pas de la faute du constructeur : la maintenance des avions, des erreurs de pilotage ou tout simplement des turbulences peuvent expliquer certains déboires. Mais il y a tout de même une accumulation d’incidents dont Boeing est responsable et qui illustre surtout de mauvais choix stratégiques et la priorité donnée à la rentabilité au détriment de la sécurité.
Les mauvais choix stratégiques, ce sont d’abord la réponse donnée en 2011 par Boeing à Airbus lorsque le constructeur européen prépare son A320 Neo qui doit consommer 20 % de kérosène en moins. Pour réduire les coûts, Boeing ne décide pas de lancer un nouvel avion mais de remotoriser un modèle existant, le 737, lancé en 1996. Problème : les nouveaux moteurs sont plus lourds ce qui va susciter des problèmes d’équilibre de l’avion, nécessitant notamment une formation spécifique pour les pilotes.
Si cela a été réglé, depuis, de nouveaux problèmes sont apparus mettant en cause la qualité et la rigueur de la conception des avions, la fiabilité de sous-traitants, toutes à la baisse en raison de la course à la rentabilité dans laquelle Boeing s’était engagé au détriment d’une indispensable « culture de la sécurité ». Une course entamée dès 1997 lorsque Boeing a fusionné avec McDonnell Douglas et transféré son siège social à Chicago, ce qui a « radicalement changé l’orientation de Boeing, qui est passé de la résolution de problèmes d’ingénierie difficiles à l’amélioration et à l’augmentation des profits financiers », relevait d’ailleurs le rapport du comité d’experts sur le B737 Max…
Comme première décision, Kelly Ortberg a choisi de s’installer à Seattle, le berceau historique de Boeing, où se trouvent les chaînes d’assemblage du 737 et du 777. Un geste apprécié des syndicats et peut-être le signe aussi d’une réelle prise de conscience sur ce que Boeing doit faire pour restaurer la confiance et durablement sortir des turbulences. Une vraie remise à plat.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 25 août 2024)