Des mécaniciens de Spirit Aerosystems utilisant une carte-clé d’hôtel pour vérifier le joint d’une porte, d’autres appliquant du savon liquide Dawn sur un joint de porte « comme lubrifiant dans le processus d’installation ». Voilà deux exemples stupéfiants que l’on peut lire dans le rapport de la Federal Aviation Administration (FAA), l’agence gouvernementale chargée des réglementations et des contrôles de l’aviation civile aux États-Unis, déclenché après qu’un Boeing 737 Max de la compagnie Alaska Airlines a perdu une porte en plein vol le 5 janvier. Ce rapport accablant a mobilisé pendant six semaines jusqu’à 32 auditeurs de la FAA dans l’usine de Boeing à Renton (Washington), où est fabriqué le B737 Max, et chez les sous-traitants de l’avionneur américain.
Le rapport, qui a révélé des dizaines de problèmes tout au long du processus de fabrication chez Boeing et donc chez Spirit Aerosystems, est un nouvel épisode des déboires que rencontre le B737 Max. Cet avion, dérivé du Boeing 737 Next Generation, devait concurrencer l’avion star d’Airbus, l’A320 Neo, mais deux crashs successifs, celui du vol Lion Air 610 le 29 octobre 2018 (189 morts) et celui du vol Ethiopian Airlines 302 le 10 mars 2019 (157 morts) ont précipité Boeing dans une tempête dont il n’est toujours pas sorti. Après la longue immobilisation de dizaines d’avions – on se rappelle des spectaculaires images de B737 Max alignés sur les tarmacs – Boeing a repris l’exploitation de son avion maudit mais accumule toujours les incidents au point que ces difficultés incessantes posent la question de savoir s'il va pouvoir redresser la barre et si tous ses malheurs ne vont pas profiter à Airbus.
Pour l’avionneur de Seattle, par ailleurs confronté à des retards sur les programmes 777X et MAX-10, la route de la rédemption va être encore longue car elle passe par une refonte complète de ses méthodes : remplacer les processus défaillants, restructurer la gouvernance interne, redévelopper les technologies de sécurité et, surtout, rebâtir une image de marque écornée, auprès des compagnies aériennes – qui conservent leur confiance à Boeing – et auprès du grand public, troublé et inquiet. Une tâche herculéenne…
Pour autant, les malheurs de Boeing ne font pas forcément le bonheur d’Airbus, qui observe la situation sans triomphalisme. Confronté à un carnet de commandes saturé, l’avionneur européen pourrait voir dans les déboires de son éternel rival l’opportunité de renforcer sa position sur le marché, mais il rencontre lui aussi des difficultés – certes moins préoccupantes – pour tenir sa cadence, entre la pénurie de pain d’œuvre et les problèmes d’approvisionnement. De plus certains de ses sous-traitants travaillent aussi pour Boeing et pourraient donc être impactés par les turbulences que rencontre Boeing. Des turbulences qui affectent l’aéronautique mondiale et qui ne sont pas encore derrière Boeing. Vendredi, un 737 d’United Airlines a été obligé d’atterrir en urgence. Il avait perdu une pièce en plein vol…
Le gouvernement américain ne laissera bien sûr jamais tomber son fleuron aéronautique, mais pour Boeing il y a urgence à établir un solide plan d’action – où les exigences industrielles et de sécurité passent avant la course à la rentabilité maximale – pour retrouver enfin des cieux plus cléments.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 18 mars 2024)