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La tenaille et le dogme

 bercy



Voilà un « en même temps » administré par la Cour des comptes dans son rapport annuel dont Emmanuel Macron se serait sans doute bien passé… D’un côté, une montagne de dettes qu’il faut absolument faire diminuer ; de l’autre un mur d’investissements pour adapter la France au réchauffement climatique qu’il faut urgemment réaliser.

Ce constat en forme de casse-tête pour l’exécutif se double d’une sévère alerte des magistrats de la rue Cambon qui met à mal le "sérieux budgétaire" – cette « rigueur » qui ne dit pas son nom – dont se targue sans cesse le gouvernement. La Cour des comptes déplore ainsi le trop grand optimisme du gouvernement tant pour sa prévision de croissance que pour la trajectoire pluriannuelle 2023-2027 des finances publiques. "Nous venons de passer une année blanche sur la réduction du déficit", s’agace Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, qui évoque 50 milliards d’économies nouvelles entre 2025 et 2027.

Certes, on pourra toujours objecter que la France reste convalescente de la période du Covid-19, que le très dispendieux "quoi qu’il en coûte" a permis au pays de plutôt bien traverser la pandémie en limitant la casse et que le gouvernement s’est engagé à sortir de la politique des chèques, même si c’est évidemment difficile, on l’a encore vu avec les mesures – légitimes mais onéreuses – prises pour répondre à la colère agricole. Mais la France reste à la traîne des autres pays européens dans sa maîtrise des comptes publics. François Fillon avait évoqué un « État en faillite » en 2007 alors que la dette atteignait plus de 1 000 milliards d’euros ; elle a désormais franchi le seuil des 3 000 milliards… Ce qui a fait dire à Edouard Philippe qu’ "aujourd’hui, le problème, c’est qu’on ne réforme pas grand-chose."

Aux rodomontades – attendues – sur la dette et les déficits, la Cour des comptes ajoute cette fois un volet inédit sur l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. En 16 chapitres – des transports à l’agriculture, de l’énergie au rôle des banques – les magistrats constatent que s’il y a une "prise de conscience" de l’urgence, il manque à l’État une stratégie et un chiffrage clair des efforts budgétaires nécessaires. Si la Cour se refuse à donner des chiffres des investissements pour cette transition écologique, on sait qu’ils seront colossaux. L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) estime ainsi à au moins 2,3 milliards par an les quelques mesures d’adaptation "incontournables" et "mûres" à prendre dès maintenant, sachant qu’il y aura ensuite d’autres besoins au coût "potentiellement bien plus important". Selon les études la France devrait investir entre 20 et… 100 milliards d’euros par an.

C’est peu dire que pour franchir ce mur d’investissements, le gouvernement ne pourra pas compter que sur la seule baisse des dépenses publiques ; il va devoir trouver de nouvelles recettes et donc se défaire d’un dogme érigé en tabou absolu : créer un impôt ponctuel qui cible les plus riches. En mai dernier, à la faveur d’un rapport sur "les incidences économiques de l’action pour le climat", Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry – qui fut le rédacteur du programme économique d’Emmanuel Macron en 2017 – ne disaient pas autre chose. Pour financer quelque 66 milliards d’euros par an pour la transition écologique, ils préconisaient un "prélèvement exceptionnel et non récurrent sur le patrimoine financier des ménages les mieux dotés". Après la crise financière de 2008, Nicolas Sarkozy s’était résolu à augmenter les impôts. Pris en tenaille par la maîtrise des comptes publics et la nécessité d’investir pour la crise climatique qui est foncièrement inégalitaire, Emmanuel Macron pourra-t-il refuser longtemps une contribution exceptionnelle des plus aisés ?

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 13 mars 2024)

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