Dans 100 jours, les citoyens des 27 pays membres de l’Union européenne vont être appelés à renouveler les membres du Parlement européen, qui installeront ensuite une nouvelle Commission et c’est peu dire que ce scrutin est plus capital que jamais pour l’avenir de l’UE. La construction européenne se poursuivra-t-elle ou va-t-elle se gripper, enrayée par des élus nationalistes europhobes qui n’ont cessé de gagner du terrain ces cinq dernières années ? Cette poussée des partis d’extrême droite devrait sérieusement bousculer les trois grands groupes, Parti populaire européen (PPE), Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) et Renew. Reste à savoir jusqu’où…
Selon l’European Council on Foreign Relations (ECFR), qui a compilé les sondages dans les 27 pays de l’Union, 33 des 40 partis d’extrême droite recensés vont améliorer leur score par rapport au précédent scrutin de 2019. Neuf arriveront même en tête dans leur pays, notamment en France – où le Rassemblement national est désormais crédité de 30 % d’intentions de vote loin devant la liste macroniste – mais aussi en Autriche, Belgique, République tchèque, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne et Slovaquie. Une coalition populiste de droite et d’extrême droite pourrait ainsi émerger pour la première fois dans l’histoire du Parlement. Un scénario encore hypothétique qui aurait évidemment des conséquences sur les politiques européennes, notamment celles sur l’environnement ou la défense.
Au repli nationaliste, à la remise en cause des règles de l’État de droit et des valeurs démocratiques, au chacun pour soi et finalement à « moins d’Europe » que propose une extrême droite obsédée par l’immigration, il faudrait au contraire opposer les vertus de la solidarité, les avantages de la coopération, la démonstration que l’union fait toujours la force et qu’on peut être « unis dans la diversité » selon la devise de l’UE. Bref opposer aux europhobes que le continent a besoin de « plus d’Europe ». Hier, l’UE a permis le marché commun, la monnaie unique, des programmes scientifiques, éducatifs (Erasmus), industriels (Airbus, Ariane), la Politique agricole commune aussi décriée soit-elle aujourd’hui, la citoyenneté européenne, etc. : autant de réalisations qui ont profité à tous et dont on ne se passerait plus. Et depuis 2019, seule l’Europe a permis aux 27 États membres de faire face à la pandémie de Covid-19 en obtenant suffisamment de vaccins, de surmonter la crise économique en dérogeant aux sacro-saintes règles budgétaires de Maastricht pour lancer de vastes plans d’aides et d’investissements, de faire face à la crise énergétique et au retour de l’inflation consécutifs au déclenchement de la guerre en Ukraine.
Demain, d’autres défis attendent les Européens : la crise climatique qui s’accélère pour laquelle il faudra réussir une transition écologique qui ne laisse personne de côté, la souveraineté industrielle et alimentaire qu’il faut retrouver et conforter, l’intelligence artificielle, la construction d’une défense commune à l’heure où le devenir de l’Otan est incertain et où l’Europe est la cible de campagnes massives de cyberattaques et de déstabilisation tandis qu’une guerre est à ses portes en Ukraine.
Certes l’Europe n’est pas n’est pas exempte de défauts. Son fonctionnement technocratique, sa complexité bureaucratique, ses dispositifs insuffisamment démocratiques et le poids de politiques économiques libérales méritent une sérieuse mise à jour. Mais face au repli nationaliste et aux solutions simplistes et mensongères que proposent les populistes – dont on a vu le résultat avec le Brexit – il est temps de retrouver et préserver l’esprit européen, celui porté par Victor Hugo qui imaginait des États-Unis d’Europe ou Jean Monnet qui voulait « unir les hommes. »
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 1er mars 2024)