Dix ans après son départ du gouvernement Ayrault, Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre du Budget de François Hollande, envisage-t-il son retour en politique ? En tout cas l’intéressé, condamné en appel à deux ans de prison pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, et frappé de cinq années d’inéligibilité, était hier sur le marché de Monsempron-Libos, non loin de Villeneuve-sur-Lot, la ville dont il a été le député et le maire.Fin octobre déjà il participait à une réunion, organisée à huis clos, quelques semaines après le lancement d’une association politique «Les amis de Jérôme Cahuzac».
Récemment interrogé par Sud-Ouest pour savoir s’il préparait son retour politique, le septuagénaire, qui avait élu domicile en Corse où il pratiquait la médecine à l’hôpital de Bonifacio, s’est borné à répondre que «tout est une question de circonstances», faisant remarquer qu’ «on fait de la politique pour être élu et agir» et qu’il n’y avait pas d’élections avant 2026, date des prochaines municipales. L’an dernier pourtant, après des années de silence, Jérôme Cahuzac assurait que «ce serait manquer de lucidité» que d’envisager un tel retour en politique. On n’en est, d’évidence, plus là...
Le retour potentiel de l’enfant du pays, du maire apprécié, du ministre qui était si brillant pour pourfendre la fraude et expliquer les méandres du budget de la Nation, suscite pourtant un certain malaise. Certes, Jérôme Cahuzac a purgé sa peine et a donc recouvré tous ses droits. Comme tout citoyen, il peut donc jouer un rôle dans la cité en tant qu’électeur, candidat ou détenteur d’un mandat s’il venait à être à nouveau élu. Ce principe, essentiel en démocratie et dans un Etat de droit, doit être rappelé et fermement défendu, pour Jérôme Cahuzac comme pour tous les condamnés qui ont dûment purgé leur peine.
Mais cette réhabilitation en droit n’interdit en rien aux citoyens de porter une appréciation sur un parcours et les ambitions d’un homme politique qui aspire à les représenter et qui, plus qu’eux-mêmes, est soumis à un devoir d’exemplarité républicaine. Jérôme Cahuzac, qui dit s’être «amendé» en cherchant «la rédemption», ose filer la métaphore sur Valjean et Javert, se plaignant qu’on s’acharnerait sur lui et qu’on tenterait de lui infliger une «mort sociale et civique». Rien n’est plus faux et cette tentative de victimisation, «indécente» pour certains, paraît bien vaine. Car l’ancien ministre semble oublier un peu vite les raisons de sa disgrâce et de sa condamnation, qui devraient l’appeler aujourd’hui à un peu plus d’humilité.
Lui qui était censé lutter contre la fraude fiscale a été un fraudeur patenté pendant plusieurs années, se soustrayant à l’impôt, lésant ainsi l’Etat et trahissant donc ses citoyens. Lui qui était, comme ministre, un représentant de la République a sciemment menti au président de celle-ci mais aussi aux députés au cœur même de la démocratie, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Les yeux dans les yeux, Jérôme Cahuzac s’est enferré dans le déni, dans un sentiment d’impunité, et a martelé crânement ses mensonges.
Ses délits ont été condamnés par la justice, mais la tache qu’ils ont faite sur la démocratie française, l’affaiblissant, et sur le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus, reste indélébile. Cette tache-là, Jérôme Cahuzac le sait bien, aucune réélection ne pourra l’effacer.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 24 novembre 2023)