Ce samedi 11 novembre, devant les monuments aux morts de toutes les communes de France, comme devant la tombe du soldat inconnu sous l’arc de Triomphe, le président de la République comme les élus, associations d’anciens combattants, écoliers et simples citoyens commémoreront la fin de la Première guerre mondiale. Il y a 105 ans, un armistice mettait fin à quatre années d’un terrible conflit qui fit plus de 9 millions de morts et disparus dont 1,4 million pour la France, et plus de 21 millions de blessés dont 4 millions de Français. Un siècle plus tard, à quelques milliers de kilomètres à l’Est de l’Hexagone, aux portes de l’Europe, une autre guerre a lieu depuis plus de 20 mois, qui entre dans son second hiver.
Face à l’agression russe, l’Ukraine connaît la dureté et les horreurs d’une guerre dont les tranchées renvoient à celles du Chemin des Dames, dont les blessés au front du Donbass sont les frères d’armes, à travers le temps, des gueules cassées de 14-18, dont les bombardements incessants qui rasent les villages et défigurent les villes et les paysages sont autant de Verdun du XXIe siècle, dont la chappe de plomb, enfin, pèse sur toute la vie d’un pays qui résiste. Un pays galvanisé par son présiden-courage Volodymyr Zelensky et qui s’oppose de toutes ses forces, de toute son âme aux desseins tragiques de Vladimir Poutine, mais qui s’oppose aussi à un autre ennemi désormais, insidieux et redoutable : la lassitude et l’oubli.
Car si l’Ukraine tient, c’est bien sûr grâce à l’immense résilience de son peuple, mais aussi grâce au soutien des Occidentaux ; soutien diplomatique, humanitaire et militaire. Soutien parce que l’Ukraine défend nos valeurs démocratiques de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect du droit international. Mais ce soutien n’est pas inébranlable et, depuis les États-Unis jusqu’en Europe et même en France, des voix – certes minoritaires – se font entendre pour dire qu’il y a d’autres priorités, d’autres urgences. Ces voix cyniques, drapées dans la Realpolitik, estiment qu’on ne peut pas aider sans fin l’Ukraine, qui n’a pas obtenu les résultats espérés avec sa contre-offensive, et que, finalement, Zelensky n’a qu’à s’asseoir à la table des négociations avec Poutine pour laisser à ce dernier la Crimée qu’il a annexée en 2014 sans réaction internationale et les territoires conquis et aujourd’hui occupés.
Ces Cassandre sont servis par l’actualité qui en chasse une autre. Ces dernières semaines, le conflit entre Israël et le Hamas, et ses répercussions partout dans le monde, occupe le devant de la scène médiatique et politique, ravalant l’Ukraine au second rang, mais pas encore dans la terrible catégorie de toutes ces guerres oubliées qui se poursuivent à bas bruit, de ces conflits qui tuent, depuis parfois des années et dans l’indifférence, du Yémen à l’Éthiopie, du Myanmar à la Syrie en passant par l’Afghanistan.
Rien ne serait pire, particulièrement en ce 11-Novembre, que d’oublier la guerre en Ukraine. Rien ne serait pire que de laisser ses habitants à leur sort. Rien ne serait pire que de délaisser cette guerre, car ce qui se joue là-bas n’est pas seulement l’avenir de l’Ukraine, mais aussi celui des principes du droit international et de l’Europe dont l’Ukraine partage déjà les valeurs.
Oublier l’Ukraine serait nous oublier nous-mêmes.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 11 novembre 2023)