Ce n’est pas la première fois qu’un rapport alerte sur les vulnérabilités de la France aux ingérences étrangères. Mais parce qu’il est le dernier à le faire, celui de la délégation parlementaire au renseignement, publié le 2 novembre, permet de mesurer la croissance exponentielle de ces opérations d’influence et de déstabilisation qui visent la France et l’Europe et dont plusieurs affaires ont montré ces derniers mois l’ampleur et la sophistication.
En 2021, un imposant rapport de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem) avait ainsi détaillé « les opérations d’influence chinoises », qui mobilisent tout l’appareil d’État chinois avec des moyens considérables pour imposer le narratif positif voulu par Xi Jinping. En juin dernier, le rapport de la commission d’enquête sur « les ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français », avait mis en exergue comment la Russie, la Chine, mais aussi l’Iran, le Maroc, le Qatar et la Turquie ciblent la France, ses organisations, ses entreprises voire des personnes privées. Le panorama annuel de la cybermenace de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) montre enfin la montée en puissance des campagnes de déstabilisation et de manipulation.
Le rapport présenté par le député Sacha Houlié, qui espère provoquer un vaste débat public sur le sujet, offre une vision synthétique et critique des opérations d’influence et insiste sur l’émergence de menaces « hybrides », entre l’ingérence classique qui passe par des opérations d’espionnage traditionnelles et l’ingérence moderne qui se déroule essentiellement sur le terrain numérique – et qui peuvent parfois provenir de pays pourtant amis de la France. « Les menaces hybrides créent de l’ambiguïté dans un contexte géopolitique où les limites entre guerre et paix sont de plus en plus floues, donnant lieu à une zone grise où s’entremêlent les notions de compétition, contestation et d’affrontement », estime la délégation parlementaire.
Face à ces menaces, la France dispose bien sûr d’un réseau de services de renseignement efficace ; elle a musclé ses outils et la loi de programmation militaire 2024-2030, adoptée au Parlement en juillet, va dédier 5 milliards d’euros au renseignement et à la contre-ingérence. Mais le rapport juge qu’il existe encore trop de failles au premier rang desquelles « une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe ». Le rapport propose alors 22 recommandations qui vont de la formation des élus locaux après chaque élection locale à la surveillance des partenariats avec les universités étrangères en passant par un meilleur contrôle des investissements étrangers dans les entreprises françaises.
Des mesures fortes mais complexes à mettre en œuvre car elles doivent être « compatibles avec les valeurs d’un système démocratique que sont notamment la liberté d’expression, le pluralisme des médias, la libre concurrence, la transparence, la protection des données personnelles… » Dit autrement, les démocraties doivent répondre aux attaques des ennemis de la démocratie en trouvant des réponses qui préserveront leurs valeurs fondamentales. Un vrai défi qui doit tous nous mobiliser.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 15 novembre 2023)