Au terme de la troisième journée de grèves et de manifestations contre la réforme des retraites, le bras de fer entre le gouvernement, les syndicats et les oppositions se poursuit dans la rue comme dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Côté rue, ce n’est pas le léger fléchissement du nombre de manifestants partout en France hier qui devrait changer la donne. Difficile en effet pour certains de perdre une nouvelle journée de salaire pour un troisième jour de grève, d’autres ont préféré se réserver pour la grande manifestation de samedi. Côté Assemblée, les débats qui s’achèveront le 17 février à minuit, avancent péniblement, amendement par amendement, dans un brouhaha certes peu lisible, mais finalement pas plus bruyant que ces grands débats qui ont fait les riches heures de la République.
Pour l’heure, personne ne voit en tout cas comment tout cela finira tant le blocage paraît total. Emmanuel Macron n’entend pas reculer sur cette réforme rejetée par les trois quarts des Français, et particulièrement sur l’âge de départ à 64 ans qu’il a érigé, seul, en tabou absolu. Le chef de l’État estime à tort ou à raison qu’il y va de son statut de réformateur et de la suite de son quinquennat. Les syndicats n’entendent pas céder eux non plus. Snobés durant le premier quinquennat, pas écoutés pour cette réforme des retraites, ils ont retrouvé pleinement leur rôle dans la démocratie sociale et ont évité la « giletjaunisation » de la colère en étant unis contre la réforme, une première depuis 12 ans. Quant aux oppositions, la réforme des retraites est la bataille qui leur manquait pour en finir avec leurs bisbilles internes et faire bloc sur un sujet majeur. Qui cédera le premier ? Mystère.
Mais parce qu’il est à l’origine de la réforme, de son contenu comme de son calendrier, le président de la République a une responsabilité particulière dans la situation actuelle et c’est à lui principalement qu’il incombe d’imaginer une sortie par le haut. Emmanuel Macron s’est fait une spécialité de parsemer ses discours et ses interviews de mots surannés et d’expression d’autrefois. L’une d’entre elles devrait rapidement lui parvenir aux oreilles : mettre la charrue avant les bœufs. Car, à l’évidence, cette réforme des retraites, jugée « brutale » et « injuste » par une majorité de Français, mal rédigée avec ses imprécisions et ses multiples angles morts qui pénalisent telle ou telle catégorie, aurait dû être présentée après la grande loi travail que le gouvernement a annoncée pour le printemps.
Le rapport au travail a profondément changé depuis la dernière réforme des retraites en 2010 et plus encore depuis les deux années de crise Covid. Le « travailler plus pour gagner plus » qui n’aura été au final qu’un slogan n’a plus cours et les Français sont désormais attachés à travailler mieux, dans de meilleures conditions, avec une reconnaissance de ce qu’ils font et pour un salaire qui leur garantisse un pouvoir d’achat qui résiste à l’inflation puis, enfin, une retraite décente. C’est pour ne pas avoir compris cela qu’Emmanuel Macron s’est mis dans une impasse.
Il n’est pas trop tard pour en sortir. En 2018, ébranlé par d’insaisissables Gilets jaunes, Emmanuel Macron avait inventé le Grand débat national. Aujourd’hui, avec des syndicats responsables, il reste possible de mettre sur pause la réforme des retraites et d’inventer un Grand débat sur le travail plus nécessaire que jamais.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 8 février 2023)