« La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité. C’est un type de mœurs, de vertus, de scrupules, de sens civique, de respect de l’adversaire. C’est un code moral ». En citant Pierre Mendès-France depuis le perchoir de l’Assemblée nationale avant d’ouvrir une séance consacrée à l’examen du projet de loi sur la réforme des retraites, la députée PS du Tarn-et-Garonne Valérie Rabault, vice-présidente de l’Assemblée, espérait peut-être ramener un peu de sérénité dans l’hémicycle. Las ! Depuis le 6 février, celui-ci s’est mué en un véritable ring de boxe où tous les coups semblent permis, des plus subtils aux plus bas. D’un bord à l’autre de l’hémicycle, des rangs de la majorité relative présidentielle à ceux de l’opposition de gauche de la Nupes, les invectives fusent, les claquements de pupitres rythment les heures mieux que la pendule, les indignations surjouées succèdent aux standing ovations tandis que les articles de la réforme sont examinés à la vitesse d’un escargot, freinés par des milliers d’amendements et des interruptions de séance à répétition. Le moindre incident est monté en épingle par les chaînes d’information en continu, la moindre polémique se retrouve ad nauseam sur les réseaux sociaux.
Mais avant d’estimer que le débat parlementaire n’est pas au niveau et est lamentable – il lui arrive de l’être – il faut aussi rappeler quelques évidences.
La première, c’est que les débats à l’Assemblée nationale ont toujours été vifs sur les textes essentiels et même bien plus vifs que celui qui se joue en ce moment. La loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, la loi Veil sur l’IVG en 1975, celle sur le Pacs en 1997, celle sur le mariage pour tous en 2013 ont été émaillées elles aussi d’invectives, d’incidents, de l’intervention des huissiers pour éviter que des députés n’en viennent aux mains. En 1947, Edouard Herriot fera même envoyer la troupe pour tenter de déloger de la tribune un député communiste qui s’y accrochera 6 heures. Et le dernier duel pour l’honneur en France, à l’épée, aura lieu en 1967 après que Gaston Defferre a traité d’ «abruti » le député René Ribière. La politique, on le sait, est affaire de passion et si l’Assemblée est le temple de notre démocratie, elle est aussi le théâtre de la vie du pays, de ses colères et de ses espoirs. « C’est dans les pays totalitaires que les assemblées sont parfaitement sages », relevait hier Jean-Louis Debré, ancien président de l’Assemblée, assurant préférer que les divergences s’expriment dans l’hémicycle, même vivement, plutôt qu’ailleurs.
La seconde évidence c’est que si les débats du Parlement ne sauraient être lisses, il faut aussi que leur organisation permette un examen approfondi et correct des textes de lois. Or sur la réforme des retraites, la responsabilité des tensions est largement partagée. En choisissant un calendrier très court fixé par l’article 47-1 – 50 jours quand la loi sur le mariage pour tous a bénéficié de quatre mois de débats – , Emmanuel Macron et son gouvernement, qui veulent en finir vite, ont mis en tension le Parlement. Et en déposant en réponse des milliers d’amendements, la Nupes empêche de son côté le débat de fond sur la totalité des articles.
Alors que les manifestations s’enchaînent dans la rue avec calme et dignité, il faut que l’Assemblée, en miroir, contienne les excès et les outrances, et retrouve du sérieux et le sens civique de sa mission. Ne serait-ce que pour éviter de nourrir l’antiparlementarisme dont les débouchés sont rarement démocratiques.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 15 février 2023)