La scène se passe le 5 janvier dernier à l’Elysée. Emmanuel Macron reçoit des boulangers-pâtissiers pour la traditionnelle galette des rois et pour préciser les annonces du gouvernement pour aider ces artisans étranglés par la hausse des prix de l’énergie. A la surprise générale, le chef de l’État lâche un « ça ne marche pas » en évoquant le numéro vert mis en place pour aider ses invités. Et de poursuivre en expliquant en avoir « ras le bol des numéros verts » proposés « dans tous les sens » aux Français confrontés à telle ou telle difficulté, oubliant peut-être que ses gouvernements depuis 2017 ont souvent usé de numéros verts. Et Emmanuel Macron de promettre qu’ « on va s’organiser. Il y a une chose qui marche bien dans la République, c’est les préfectures », annonçant que les boulangers disposeront d’un numéro de téléphone par département et qu’ « il y aura quelqu’un au bout du fil qui répondra à la fois avec humanité et expertise, et qui ne sera pas un site internet qui renvoie à des tableaux. » Sans peut-être s’en rendre compte, Emmanuel Macron soulevait ce jour-là un sujet essentiel pour les Français : l’angle mort de la dématérialisation des services publics.
La dématérialisation, c’est-à-dire la numérisation, des services publics participe de la modernisation de l’État à l’heure où le numérique prend de plus en plus de poids dans le fonctionnement de notre société. Moins de lourdeurs pour obtenir un acte de naissance, renouveler tel ou tel document, déclarer ses impôts ou demander une allocation. Des services disponibles en ligne 24 heures sur 24, sur son ordinateur ou sur son smartphone. Des documents envoyés sur sa boîte électronique. Tous ces avantages – que certains pays européens ont poussé encore plus loin comme l’Estonie – sont appréciés par une majorité de Français, qui utilisent de plus en plus les outils numériques.
Mais une partie non négligeable de la population est restée sur le bord du chemin de cette révolution en marche. Soit parce que ces Français ne peuvent pas utiliser un ordinateur ou un smartphone car ils n’en possèdent pas, ou ne sont pas à l’aise dans le maniement des outils numériques : on parle d’illectronisme et cela concerne tout de même 14 millions de nos concitoyens. Soit ces Français ont bien les outils mais pas la connexion internet indispensable car ils habitent dans une zone blanche ou grise. Soit enfin parce que devant la complexité de certains sites web de l’administration, certains préfèrent renoncer. Et ces Français-là – qui aimeraient retrouver un contact humain – ne peuvent se retourner vers l’administration classique dont les guichets se sont réduits ou ont disparu, particulièrement en zone rurale, et dont les plateformes téléphoniques, difficilement joignables, les renvoient très souvent… vers leur site internet ! Ubuesque.
Toutes ces difficultés ont parfaitement été identifiées tant par l’Insee que par la Défenseure des droits. Alors que vont se développer de nouveaux services en ligne – carte d’identité et Vitale numériques, services de santé… – l’État a le devoir d’apporter une réponse à tous ces Français qui rencontrent des difficultés. Car il ne saurait y avoir dans notre République, dont le principe d’égalité est un pilier, des citoyens de seconde zone.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 4 septembre 2023)