La hausse annuelle des tarifs de péage des autoroutes concédées n’est certes pas une surprise, certaines sociétés avaient même annoncé en décembre la couleur. Mais dans un contexte où l’inflation reste forte, la hausse moyenne des péages de +4,75 % a du mal à passer auprès des Français, d’autant qu’elle n’était que de +2 % en 2022, +0,4 % en 2021, +0,8 % en 2020 et +1,9 % en 2019. Elle intervient de plus le même jour que la hausse de +15 % des tarifs régulés de l’électricité. Le budget des ménages est mis à rude épreuve.
Mais si la revalorisation des tarifs passe particulièrement mal cette année, c’est aussi parce que les sociétés d’autoroutes ont atteint une rentabilité record, très supérieure à celle qui était fixée par les contrats de concessions. Selon un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) réalisé en 2021 et révélé le 25 janvier par Le Canard enchaîné, la rentabilité de deux des plus grosses sociétés concessionnaires (ASF-Escota, groupe Vinci) et APRR (Area, groupe Eiffage) étaient proches de 12 %, bien supérieurs aux 7,67 % ciblés par l’État lors de la privatisation des autoroutes en 2006.
Pour revenir à cet objectif, les inspecteurs ont préconisé « un réalignement de la rentabilité » en proposant plusieurs pistes : la fin anticipée des concessions en 2026, une baisse des tarifs de péage de l’ordre de 60 % – ce qu’apprécieraient certainement les automobilistes – ou le prélèvement par l’État de plus de 63 % de l’excédent brut d’exploitation, soit au bas mot quelque 55,4 milliards d’euros. Destinataire du rapport, le ministre de l’Économie s’est empressé… de ne rien faire.
Prudent, l’hôte de Bercy s’est certainement rappelé que les clauses de contrats de concessions signés en 2006 par Dominique de Villepin ont été révisées en 2015 par un gouvernement dont le ministre de l’Economie était un certain Emmanuel Macron et dont la directrice de cabinet de la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, était une certaine Elisabeth Borne…qui fut directrice des concessions chez Eiffage en 2007.
À moins que Bruno Le Maire n’ait mesuré toute la difficulté de toucher à ces contrats face à des sociétés d’autoroutes prêtes à défendre bec et ongles leur poule aux œufs d’or. En 2015, en contrepartie du gel des tarifs demandé par Ségolène Royal, l’État a ainsi dû accepter de compenser intégralement ce gel par des hausses de tarifs additionnelles les 1er février de chaque année de 2019 à 2023…
Face à cette situation, nombreux sont ceux qui, régulièrement, réclament une renationalisation du réseau autoroutier français, une remise à plat complète d’un système déséquilibré de rentes qui favorise les sociétés d’autoroutes au détriment de l’État, garant de l’intérêt général. Des pétitions circulent, des propositions de loi sont déposées au Sénat ou à l’Assemblée. Mais c’est plus sûrement au moment de la renégociation des contrats, qui arrivent à terme entre 2031 et 2036, que le débat devra se poser en termes clairs : entre l’État et les sociétés privés, qui a la capacité, l’expertise et les moyens de maintenir et développer un réseau autoroutier parmi les meilleurs d’Europe, à l’heure de la transition écologique avec laquelle il faudra inventer l’autoroute de demain, décarbonée, multimodale et accessible à tous ?