Ce n’est pas la première fois que nous voyons les terribles images d’un séisme qui ravage des régions entières. Immeubles éventrés, voire réduits en poussières, populations hagardes qui cherchent un proche, quelques effets personnels, ou leur animal de compagnie disparu ; secouristes qui s’affairent dans un chaos de cris et de douleurs pour sortir des décombres des survivants dont le nombre va en s’amenuisant au fur et à mesure que passent les jours, miracles lorsque dans cette course contre la montre ils parviennent à sauver un enfant, symbole de la vie qui continue. Et cette détresse omniprésente qui appelle au secours la communauté internationale. Du séisme de Tangshan en Chine en 1976 à celui de Port-au-Prince à Haïti en 2010 en passant par celui de Mexico en 1985 ou celui de la région de Spitak en Arménie en 1988, les mêmes scènes de désespoir nous prennent au cœur.
Le séisme qui vient de se produire en Turquie et en Syrie s’inscrit dans cette triste liste mais sa violence stupéfiante - deux secousses de 7,8 puis 7,5 sur l’échelle de Richter - et le destin déjà difficile des populations qui en souffrent en font un séisme différent. Les images aériennes des failles béantes ou des voies de chemin de fer tordues nous font prendre conscience de toute l’intensité que le déplacement des plaques tectoniques a provoqué.
Mais le séisme n’est pas que géologique, il est aussi géopolitique dans cette région où un pays - la Turquie - est dirigé par un autocrate, Recep Tayyip Erdogan, quand l’autre - la Syrie - est sous le joug d’un dictateur sanguinaire, Bachar al Assad. La survenue d’un tremblement de terre dans cette zone-poudrière a rajouté du chaos au chaos au point qu’on ne sait ce que lui réserve l’avenir.
En Turquie, le président Erdogan a beau décréter l’état d’urgence et museler les critiques en coupant Twitter, il n’empêche pas la colère de la population de s’exprimer. Car depuis un précédent séisme à Izmit en 1999, rien ne semble avoir changé : la corruption est toujours aussi patente et 60 % des constructions récentes ne seraient pas aux normes en dépit d’un cadre pourtant clairement défini. Pire, le déploiement des secours a montré un criant manque de moyens et d’organisation. À trois mois de l’élection présidentielle, prévue le 14 mai, Erdogan, au pouvoir depuis 20 ans, est donc en mauvaise posture. Cent ans après la fondation de la République par Mustafa Kemal, sa volonté de briguer un 3e mandat et de faire du pays un État à sa main est ainsi contrecarrée par le séisme.
En Syrie, où les infrastructures étaient déjà dévastées par des années de guerre, la situation est encore plus compliquée puisque d’une part le régime est placé sous sanctions internationales et d’autre part le séisme a frappé les régions rebelles au pouvoir, d’Idlib à Alep, villes désormais doublement martyres où les secours peinent à atteindre les sinistrés.
Mais peu importent les actes des deux dirigeants et leur tentation d’utiliser le séisme à des fins politiques. Face à ce que l’ONU a appelé « la pire catastrophe naturelle en Europe en un siècle », nous avons le devoir de faire jouer la solidarité internationale.
(Éditorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 16 février 2022)