En choisissant pour bâtir sa réforme le scénario le plus pessimiste dans le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) sur l’évolution de notre système de retraite par répartition, le gouvernement a, d’évidence, voulu dramatiser la situation. « C’est la réforme ou la faillite » a même osé le ministre des Comptes publics Gabriel Attal quand le président du COR, Pierre-Louis Bras, expliquait devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale que « les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées. » Ces divergences de vues ont suscité fort logiquement des débats, des oppositions et de l’inquiétude chez les Français et notamment les plus jeunes. Quand on a 20-25 ans, que l’on est étudiant, jeune travailleur ou même chômeur, la question de la retraite paraît lointaine ; certains se demandent s’ils auront bien une retraite et, dans ce cas, ce qu’il faut faire pour la préparer au mieux.
Dans son dernier baromètre publié ce mois-ci, le cercle des épargnants montre que 61 % des Français sont inquiets pour leur retraite et qu’une majorité commence à épargner pour ses vieux jours : près de trois futurs retraités sur dix (29 %, + 12 points en trois ans) épargnent aujourd’hui régulièrement pour financer leur retraite et 34 % ne le font que quand cela leur est possible. Autrement dit, les Français, sans s’en rendre compte, se tournent vers la retraite par capitalisation pour compléter leur retraite par répartition et bousculent un tabou absolu sur ce sujet.
Car dans la classe politique, très rares sont ceux qui osent s’affranchir de cette ligne de défense du système par répartition tant il est ancré dans notre histoire. Parler du régime par répartition, c’est forcément convoquer l’une des réalisations majeures du Conseil national de la Résistance au sortir de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi rappeler qu’avant 1941, les retraites confiées à des fonds de pension privés avaient pris de plein fouet la crise de 1929 et les pensions avaient chuté. Et a contrario, s’avancer sur la retraite par capitalisation, c’est appeler l’image de ces fonds de pensions vautours, ces hydres anglo-saxonnes obnubilées par la rentabilité financière. D’un côté la sécurité et la solidarité nationale de la répartition ; de l’autre, les risques des placements en Bourse et l’individualisme à même de creuser les inégalités pour la capitalisation.
Évidemment, le sujet n’est pas aussi clivé, tout n’est pas blanc ou noir. Et même en France, il existe déjà une part substantielle de capitalisation. Créé en 2001, le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) détenait fin 2021 26,1 milliards d’euros investis entre actions et obligations. Plus concrets encore, des régimes obligatoires fonctionnent par capitalisation, comme la Retraite additionnelle de la Fonction publique ou la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens. Dès lors, on voit qu’un panachage entre beaucoup de répartition et un peu de capitalisation bien encadrée – qui permettrait de profiter des superprofits… – semble pertinent. Jean Jaurès lui-même n’était pas opposé à la capitalisation qui « peut même, bien maniée par un prolétariat organisé et clairvoyant, servir très substantiellement la classe ouvrière », écrivait-il en 1909…
Répartition/capitalisation : voilà un sujet qui aurait largement mérité un vrai débat de fond entre tous les partenaires sociaux. À la place, les Français ont droit à un débat escamoté sur une réforme des retraites qu’ils rejettent…
(Editorial publié dans La Dépêche du lundi 20 février 2023)