C’est une photographie devenue virale sur les réseaux sociaux en quelques heures. À l’intérieur de la cabine d’un long courrier de Qatar Airways, deux femmes asiatiques regardent craintivement l’homme qui s’est assis à côté d’elles, esquissant même un geste de repli pour s’en éloigner et ne pas être en contact au coude à coude avec lui. Ce passager septuagénaire n’a pourtant, en apparence, rien d’inquiétant avec ses fines lunettes rectangulaires, sa casquette et sa chemise à carreaux et sa veste rouge. Il pourrait être un grand-père gâteau, on dirait même qu’il sourit un peu au moment où est prise la photo. Mais les apparences sont trompeuses et avant même de prendre place dans l’avion qui va faire route vers la France, la réputation de ce passager singulier l’a précédé : Charles Sobhraj, le « tueur de Bikini » est à bord. Libéré trois jours plus tôt par la justice népalaise qui a abrégé pour raisons de santé sa condamnation à la prison à perpétuité pour le meurtre de touristes américains à Katmandou en 1975.
Cette remise en liberté et cette expulsion vers la France, Charles Sobhraj ne les attendait plus. Opéré du cœur en 2017, le célèbre détenu devait rester en prison au moins jusqu’en 2034. Le destin en aura décidé autrement, ajoutant un nouvel épisode à la vie aventureuse et criminelle de cet homme qui conserve sa part de mystère et un incroyable magnétisme qui, cinquante ans après ses meurtres, parvient encore à effrayer et à fasciner.
Car le parcours criminel glaçant de Charles Sobhraj, dit aussi le Serpent, hypnotise, interpelle, questionne tant sur la façon dont il a pu passer entre les mailles du filet et sans cesse rebondir pour échapper à la police que sur ces motivations intimes à commettre ses crimes. Quelle est l’origine de sa noirceur d’âme ? Comment a-t-il pu commettre de tels actes avec une telle absence d’humanité et d’empathie pour ses victimes, des jeunes gens qui avaient la vie devant eux ? La question du pourquoi se pose d’ailleurs pour tous les tueurs en série, de Landru à Guy Georges, de Jeffrey Dahmer à Ted Bundy, du tueur au Zodiac à celui de Boston jamais découverts. Ces histoires connues mais dont le point déclencheur ne peut être qu’hypothèses font le miel de la fiction, notamment à la télévision. On ne compte plus les films et les séries construites autour de ces personnages maléfiques, parfois inventés (Dexter, You, Hannibal Lecter…) et de plus en plus bien réels. Car quand la réalité dépasse la fiction, elle fait toujours le meilleur des scénarios. Les plateformes de vidéo à la demande l’ont bien compris. Mais dans ce cas, elles doivent bien se garder – comme Netflix avec Dahmer dernièrement – de transformer les tueurs en héros romantiques. Car derrière leur célébrité, il y a toujours des victimes et leurs proches qui attendent un inextinguible respect.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 27 décembre 2022)