C’est un dessin de presse au trait épais mais parfaitement ciselé, dont les couleurs délavées sont soulignées par un rai de lumière. Vladimir Poutine est assis, accablé, dans un fauteuil surmonté d’un aigle bicéphale, symbole de la Russie, à côté d’un téléphone rouge, le bouton nucléaire en pendentif. Dans sa main, un pistolet comme s’il était prêt à se suicider dans ce bunker, allusion à Hitler qui s’est donné la mort 30 avril 1945 dans son Führerbunker à Berlin. En lettres capitales jaunes au-dessus de la scène : « La Russie est en train de perdre ». Voilà la une de l’hebdomadaire tchèque « Respekt », cette semaine, qui annonce une victoire de l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie et la fin prochaine du maître du Kremlin. Une défaite ou l’impossibilité pour la Russie d’arriver à ses fins est d’ailleurs un scénario auquel se rattachent de nombreux experts. C’est sans doute cette humiliante perspective de perdre la guerre – cette « opération militaire spéciale » lancée le 24 février qui devait conquérir l’Ukraine en quelques jours et renverser le régime « nazi » de Volodymyr Zelensky avant de s’enliser – qui a poussé hier Vladimir Poutine dans une inquiétante fuite en avant.
En appelant à la mobilisation de 300 000 réservistes et en brandissant la menace de recourir à l’arme nucléaire, le président russe franchit, d’évidence, un nouveau cap. Ce n’est pas la première fois que Poutine évoque l’utilisation d’armes nucléaires contre l’Ukraine et ses soutiens occidentaux – raison sans doute pour laquelle il a cru bon de préciser « ce n’est pas du bluff » – mais ces annonces belliqueuses doivent être prises au sérieux. Relayées par sa garde rapprochée qui estime que la Russie est désormais « en guerre contre l’Occident » et proche « de la troisième guerre mondiale », elles dramatisent à dessein la situation pour obtenir un sursaut de mobilisation, mais elles illustrent aussi combien la situation semble échapper à Vladimir Poutine, qui fait face aux premières fissures visibles dans le soutien russe à son « opération ». Car plus les semaines passent, plus les pertes et les déboires s’accumulent pour son armée et plus les Russes s’interrogent sur le bien-fondé de cette guerre, sur les réseaux sociaux – où la star Alla Pougatcheva a pris position contre le conflit – comme sur les médias d’État où le doute s’est désormais installé.
Pour tenter de reprendre la main et sauver la face, Vladimir Poutine montre les muscles et entend réitérer le scénario déjà mis en œuvre en Crimée. Cette fois, quatre régions vont organiser des référendums d’intégration à la fédération de Russie du 23 au 27 septembre. Dès que les républiques populaires de Donetsk (RPD) et de Louhansk (RPL) et les régions de Kherson et Zaporijjia, partiellement conquises par les forces russes, auront répondu « oui », elles deviendront des territoires russes. Toute agression contre eux sera alors considérée par Moscou comme une attaque directe contre la Russie. Cette dernière pouvant dès lors riposter par tous les moyens, y compris nucléaires.
Poutine veut-il aller jusque-là ? Osera-t-il franchir la ligne rouge et déclencher le feu nucléaire à l’heure où même ses « amis » chinois l’appellent au cessez-le-feu ? Ou alors est-ce une énième intimidation, un nouveau chantage, un coup de bluff ? Pour l’heure personne ne sait ce qu’il y a dans la tête de Vladimir Poutine.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 22 septembre 2022)