Lorsque le 21 septembre dernier, Vladimir Poutine a annoncé à la télévision une « mobilisation partielle » de 300 000 réservistes pour appuyer son « opération militaire spéciale » en Ukraine, chacun a bien compris qu’un tournant se produisait dans la guerre déclenchée le 24 février par la Russie. Confronté à une contre-offensive victorieuse de Kiev dans l’est et le sud de l’Ukraine contre une armée russe qui a connu de multiples revers en sept mois, Vladimir Poutine a choisi la fuite en avant, brandissant une nouvelle fois la menace nucléaire contre l’Ukraine et l’Occident et précipitant en catastrophe l’organisation de pseudos-référendums pour annexer quatre régions occupées. Après ce tournant dans une guerre qui lui échappe, le maître du Kremlin va-t-il subir le retournement de l’opinion russe ?
On n’en est pas encore là mais la « mobilisation partielle » a d’ores et déjà fait chuter les certitudes et la communication de Moscou, dans la population et jusqu’à l’élite du pays.
Dans la population, l’idée que l’on avait affaire à une simple opération militaire selon le récit du Kremlin a vécu. Avec la mobilisation partielle, l’opinion a bien compris qu’il s’agissait d’une vraie guerre aux enjeux de plus en plus obscurs. Les manifestations de Russes refusant de se faire enrôler, organisées spontanément dans les rues de dizaines de villes à travers le pays, les images de ces rassemblements et des arrestations musclées qui ont suivi et qui ont tourné en boucle sur les réseaux sociaux, les erreurs commises par les autorités dans des centres de recrutement enrôlant sans discernement des gens atteints de maladies chroniques ou des médecins, ou la violence du recrutement dans certaines régions : tout cela commence à ébranler l’opinion. Surtout, la fuite de milliers de Russes refusant de servir de chair à canon vers la Géorgie, le Kazakhstan ou la Finlande, s’agglutinant massivement aux postes frontières, fragilise le récit poutinien d’un soutien massif de la population à sa guerre en Ukraine. Certes, ceux qui ont tout quitté pour fuir la Russie sont souvent les jeunes les plus éduqués et les mieux informés sur la situation. Ils ne sont que quelques milliers mais ils peuvent être l’étincelle d’une plus forte mobilisation contre la guerre – et donc contre Poutine – au sein de l’opinion russe.
Vladimir Poutine a beau avoir signé un décret alourdissant les sanctions à l’égard des déserteurs et limogé le général Boulgakov, chef de la logistique militaire, ce véritable point noir de l’offensive russe en Ukraine, le doute s’est instillé aussi dans les sphères dirigeantes. Sur les médias d’État, certains chroniqueurs ont déjà évoqué la perspective de négociations de paix, et la présidente du Sénat, Valentina Matvienko, comme son homologue de la Douma, Viatcheslav Volodine, s’ils soutiennent toujours la guerre, ont dénoncé les excès et les erreurs de la campagne de recrutement de l’armée.
« La meilleure forteresse des tyrans, c’est l’inertie des peuples » disait Machiavel. Aujourd’hui, une partie du peuple russe a décidé de bouger…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 28 septembre 2022)