Les responsables politiques qui ont à gérer la crise énergétique qui frappe l’Europe depuis la fin 2021 et plus encore depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février, semblent avoir tiré les leçons des erreurs commises lors d’une autre crise, celle de la pandémie de Covid-19. Au début du déferlement du coronavirus et de la panique qu’il provoqua en 2020, le chacun pour soi avait prévalu dans les pays membres de l’Union européenne, retardant de fait la prise des bonnes décisions et la mise en place d’une solidarité efficace. Face à la crise de l’énergie, les 27 ont cette fois très tôt réagi de concert, ce qui était d’autant plus délicat que les pays membres étaient dans des situations très différentes, l’Allemagne étant par exemple beaucoup plus dépendante que la France des livraisons de gaz russe. Au final, la solidarité européenne s’est mise en place en tenant compte des particularités de chacun et, hier, après des décisions déjà prises sur la sécurisation des approvisionnements en gaz, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté des mesures fortes pour atténuer les conséquences de la hausse des prix de l’électricité, entre une réforme du marché qu’elle avait poussé à la dérégulation, la taxation des superprofits ou encore le chemin de la sobriété énergétique pour les 27.
A ce cadre européen, qui sera discuté le 30 septembre par les ministres de l’Énergie, s’ajoutent les mesures que prennent individuellement chaque pays. Depuis l’automne 2021, la France est, d’évidence, l’un des pays les plus protecteurs de l’UE avec son bouclier tarifaire qui, en 2022, a bloqué la hausse des tarifs d’électricité pour les particuliers à 4 %, et gelé ceux du gaz au niveau d’octobre 2021. Une telle situation face à la hausse continue des prix de l’énergie était évidemment intenable sur le long terme, mais comment passer en douceur d’un « quoi qu’il en coûte » énergétique à un « combien ça coûte » pour reprendre l’expression du ministre des Comptes publics Gabriel Attal ? Sur ce délicat chemin de crête, Elisabeth Borne a proposé hier une voie, sur laquelle soufflent le chaud et le froid. Le gouvernement s’est ainsi engagé à prolonger le bouclier tarifaire en 2023 pour les ménages, les copropriétés, les petites entreprises et les petites communes, mais les prix de l’électricité et du gaz vont bien augmenter de 15 %… Face à cette hausse – qui serait bien pire sans le bouclier – le gouvernement opte pour des chèques énergie de 100 à 200 euros sous conditions de revenus qui seront versés à quelque 12 millions de foyers modestes.
Ce bouclier et ces aides contre la hausse des prix – illustration d’un État providence dont on ne cesse de retrouver les vertus depuis deux ans – sont évidemment bienvenus pour les Français qui subissent l’inflation galopante, au-delà de l’énergie, sur leurs autres dépenses, notamment alimentaires. Mais ils ne doivent pas retarder l’urgence d’un changement de modèle : retrouver la sobriété énergétique, faire la chasse au gaspi, réfléchir à notre mix énergétique entre part du nucléaire à moderniser et développement des renouvelables, le tout avec un sens aigu de l’équité dans l’accès à l’énergie. Ce chantier colossal est l’épée de Damoclès du défi énergétique qui se joue de tous les boucliers ; un défi qu’il faut relever sans attendre.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 15 septembre 2022)