La question n’est pas nouvelle et apparaît à chaque rentrée scolaire pour les parents d’élèves entrant au collège ou étant encore à l’école élémentaire : faut-il doter son enfant d’un téléphone portable, ou plus sûrement d’un smartphone, connecté en permanence à internet ? À partir de quel âge est-il raisonnable qu’un jeune dispose d’un tel appareil ? Quels sont les risques de son utilisation prolongée sur sa santé physique et mentale, sa vision, son attention, sa capacité à réfléchir ? Quelles sont les dérives auxquelles les jeunes peuvent être exposées, entre pornographie toujours très facilement accessible, dépendance aux réseaux sociaux qui déploient des algorithmes perfectionnés pour capter et garder l’attention et cyberharcèlement de la part de camarades malintentionnés ?
Toutes ces questions reviennent depuis déjà plusieurs années mais avec encore plus d’acuité ces deux dernières années, marquées par l’épidémie de Covid-19. La crise sanitaire, en effet, a accéléré la numérisation de la société tout entière comme de l’éducation – qui a expérimenté « l’école à la maison » en visioconférence pendant les confinements. La croissance du temps d’écran au sein des familles a logiquement augmenté. Et cela devrait se poursuivre.
Certains s’offusquent, dénoncent à longueur de tribunes les dangers qui guetteraient les enfants, imputent au smartphone en particulier et au numérique en général une responsabilité dans la baisse du niveau scolaire et font sans cesse l’éloge du « c’était mieux avant ». Pourtant le numérique est déjà présent dans nos vies depuis plus de vingt ans et la « Petit poucette », ce personnage inventé par Michel Serres pour représenter les digital natives, cette génération née avec internet, rivés sur leur smartphone, a été l’héroïne d’un livre publié en 2012…
Comme l’invention de l’écriture, puis celle de l’imprimerie, l’avènement d’une société numérisée provoque des bouleversements qu’il faut avoir l’intelligence de regarder en face, pour en déceler les dangers et les dérives – ils existent – mais surtout pour en mesurer les opportunités et les apports considérables quant à l’accroissement des connaissances, désormais à portée de l’homo numericus que nous sommes potentiellement tous.
Cet exercice ne peut être laissé à l’école, aux parents seuls face aux géants du numérique. Il doit concerner toute la société pour que soient mis en place des garde-fous, des règles claires et éthiques de protection, de transparence et si besoin de sanction. Dans la dernière enquête « Parents, enfants et numérique » réalisée par l’Observatoire de la parentalité et de l’Éducation numérique (Open) et l’Union nationale des associations familiales, il apparaît que les parents ne se sentent pas assez accompagnés et déclarent avoir besoin d’aide. Le gouvernement avait entendu le message et fait du site jeprotegemonenfant.gouv.fr un portail unique d’informations sur la parentalité numérique.
Parallèlement, pour ne pas subir la révolution numérique, il faut aussi en comprendre les ressorts. L’apprentissage du code, la compréhension des algorithmes ou du métavers sont aussi importants à enseigner que la nécessité de ne pas se laisser enfermer dans sa bulle devant son écran mais de sortir voir la beauté du monde. C’est à cette condition que l’on fera des jeunes homo numericus d’aujourd’hui les citoyens de demain.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 26 septembre 2022)