Qui sont les riches en France et à partir de quels revenus le devient-on ? Ces questions taraudent depuis longtemps la France. Dans le pays qui a fait de l’égalité une composante de sa devise nationale, évoquer le sujet est toujours hautement inflammable, particulièrement en période d’élections. François Hollande ne dira pas le contraire. En janvier 2007, en pleine campagne électorale, celui qui est alors premier secrétaire du Parti socialiste avoue sur le plateau d’une émission télévisée « Je n’aime pas les riches, je n’aime pas les riches, j’en conviens », estimant qu’on l’était à partir de 4 000 euros de revenus mensuels. Tollé à droite. La petite phrase collera à François Hollande jusqu’en 2011 lorsqu’il sera le candidat du PS à l’élection présidentielle et lui sera reprochée par Nicolas Sarkozy dans le débat d’entre-deux tours.
Ce seuil de 4 000 euros restera en tout cas dans les dans les esprits puisqu’en février 2021, interrogé sur l’opportunité d’une contribution exceptionnelle des plus riches en période de Covid, le président du MoDem François Bayrou lance « pourquoi pas ? » avant d’ajouter « 4 000 euros par mois, pour moi, c’est les classes moyennes ; je ne dis pas que c’est les riches ». Tollé à gauche cette fois. Ces deux exemples montrent combien il est difficile d’établir le seuil à partir duquel on est considéré comme riche ; beaucoup plus difficile que d’établir le seuil de pauvreté qui, lui, fait consensus. Car au final, les plus aisés se considèrent peut-être toujours comme le pauvre d’un plus riche qu’eux…
Tenter de définir le seuil de richesse est donc une vraie gageure, en tout cas en France puisque ce seuil existe en Allemagne depuis 20 ans. Estimant qu’ « il est grand temps d’avancer sur ce sujet », l’Observatoire des inégalités vient de publier son « Rapport sur les riches en France » et se propose de fixer un seuil de richesse équivalent au double du niveau de vie médian, soit 3 673 euros par mois pour une personne seule ou 5 500 euros pour un couple, après impôts. 4,5 millions de Français sont concernés soit 7 % de la population, mais à l’intérieur même de ce bloc, les disparités sont grandes, notamment en fonction de l’endroit où l’on est et des conditions de vie.
L’Observatoire, qui se défend de tout sensationnalisme, revendique d’ouvrir le débat et de lutter contre « la cécité de la droite et de la gauche » sur cette épineuse question. La première ne jure, en effet, que par la théorie libérale du ruissellement, venue des États-Unis, qui voudrait que l’enrichissement des plus fortunés finisse par « arroser » les catégories populaires. Même le président Joe Biden a assuré qu’il ne croyait plus à cette fable. La gauche, elle, reste obnubilée, selon l’Observatoire, par les « 1 % les plus riches », ces multimillionnaires qui ont, il est vrai, considérablement accru leur fortune ces dernières années, y compris durant la pandémie, et paient parfois proportionnellement moins d’impôts que les autres.
Au final, au-delà du seuil sur lequel la classe politique ne manquera pas de s’écharper, il conviendrait sans doute de s’interroger, comme l’a fait Thomas Piketty, non pas seulement sur les revenus des Français les plus aisés mais bien sur leur patrimoine global, la façon dont il s’est constitué et comment il se transmet par héritage. Une vision plus large nécessaire pour bâtir de vraies politiques solidaires et redistributives.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 3 juin 2022)