« Les Français arrivent tard à tout, mais enfin ils arrivent », disait Voltaire. Et c’est vrai que le déplacement d’Emmanuel Macron en Ukraine, hier, était attendu de longue date. Certains imaginaient que le président français, qui s’était rendu à Kiev avant l’invasion russe, y retournerait pour marquer la solidarité européenne, à l’instar du voyage éclair que fit François Mitterrand le 28 juin 1992 à Sarajevo, alors ville assiégée par un terrible blocus. Mais Emmanuel Macron a trop tardé et s’est fait devancer à Kiev par Boris Johnson et plusieurs autres dirigeants.
D’aucuns ont estimé que le voyage du chef de l’État dans l’Est de l’Europe – entamé mardi auprès des soldats français de l’Otan en Roumanie – était à visée électoraliste à quelques jours du second tour des législatives, pour un Président incertain de retrouver une majorité absolue dimanche. Voire. Ces critiques très franco-françaises n’ont pas résisté à la force symbolique du déplacement effectué ensuite à Kiev par M. Macron et ses homologues allemand, italien et roumain.
Car le train qui conduisait dans la nuit de mercredi à jeudi, d’une gare de Pologne vers Kiev, le président du Conseil italien Mario Draghi, le chancelier allemand Olaf Scholz et Emmanuel Macron était, d’évidence, le train de l’histoire. Après trois mois de guerre déclenchée par Vladimir Poutine, après trois mois marqués par un cortège d’horreurs et de malheurs, de crimes de guerre et de destructions de villes entières, de millions de réfugiés jetés sur les routes de l’exil et de morts par centaines, trois mois qui ont changé la géopolitique, bousculé l’économie mondiale, provoqué une crise de l’énergie et peut-être bientôt une crise alimentaire mondiale, le voyage des dirigeants européens dans la capitale ukrainienne constitue un événement historique dont la Russie a d’ailleurs parfaitement mesuré l’importance. Il n’y avait qu’à lire hier les réactions russes sur ce voyage : le Kremlin a jugé « futiles » les livraisons d’armes occidentales promises à l’Ukraine et l’ancien Premier ministre Dmitri Medvedev, proche de Poutine, a raillé « les amateurs européens de grenouilles, de saucisses de foie et de spaghettis ».
Mais ce voyage n’était pas que symbolique : pour les dirigeants européens, il s’agissait aussi de donner des gages concrets à Volodymyr Zelensky, le président-courage qui, depuis le 24 février, galvanise l’héroïque résistance des Ukrainiens et place ses homologues devant leurs responsabilités. Les atermoiements de l’Allemagne sur l’arrêt des importations de gaz et de pétrole russes ou les livraisons d’armes, les appels d’Emmanuel Macron à ne pas « humilier » la Russie ou le plan de paix italien qui imaginait une quasi-partition de l’Ukraine ont suscité des tensions avec Kiev qu’il fallait aplanir.
Surtout, l’heure était venue de donner une réponse claire à l’Ukraine sur sa demande d’adhésion à l’Union européenne. Pouvait-on refuser l’entrée dans l’UE aux Ukrainiens qui se battent pour défendre les valeurs européennes, la liberté, la démocratie, la paix qui constituent le socle de l’Europe depuis sa création au sortir de la Seconde Guerre mondiale ? En soutenant hier « le statut de candidat immédiat à l’adhésion » pour l’Ukraine, les pays fondateurs de l’Europe ont envoyé le seul signal possible : le destin de l’Ukraine est aussi le nôtre.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 17 juin 2022)