L’histoire est-elle un éternel recommencement ? Cette vaste question, sur laquelle s’écharpent les historiens et planchent parfois les lycéens, se repose ces jours-ci avec la campagne des élections législatives qui arrive à son terme. À deux jours du premier tour de scrutin, Emmanuel Macron semble, en effet, mettre ses pieds dans ceux de son prédécesseur Valéry Giscard d’Estaing avec lequel, dit-on, il a horreur d’être comparé. Et pourtant, en 1978, à l’approche d’élections législatives que le pouvoir giscardien voit menacées par la gauche emmenée par François Mitterrand, VGE entre en campagne et prononce le 27 janvier 1978, à Verdun-sur-le-Doubs, un discours pour remobiliser son camp et attaquer ses adversaires. Devant quelque 25 000 personnes venues l’écouter dans cette petite ville, le président de la République appelle les Français à faire le « bon choix ».
« Le bon choix est dicté par le bon sens. Il faut regarder la réalité en face. Et elle vous répond ces quatre vérités : il faut achever notre redressement économique, il faut que la France puisse être gouvernée, il faut avancer vers l’unité et la justice, il faut assurer le rôle international de la France. Les Français ne vivront pas heureux au paradis des idées fausses » détaille Giscard avant de fustiger le « programme commun » qui « plongerait la France dans le désordre économique » et dénoncer les alliances nouées par les forces de gauche promptes à la division.
Quarante-quatre ans plus tard, Emmanuel Macron et ses troupes utilisent les mêmes ressorts pour dramatiser un scrutin beaucoup plus difficile pour eux que celui de 2017, qui était, lui, porté par la dynamique d’un président disruptif promettant un « nouveau monde ». Depuis plusieurs jours, les ministres et ténors de la majorité présidentielle se succèdent pour mettre en garde contre le péril que représenterait la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), tant sur l’économie, la vie politique et les institutions. Parfois jusqu’à la caricature. Hier dans le Tarn, Emmanuel Macron a repris les accents giscardiens pour demander aux Français de lui accorder une majorité « forte et claire » aux législatives. « Faisons en conscience le choix solide de la clarté républicaine sans concession. Il nous faut suivre la voie de la cohérence, de la compétence et de la confiance », a-t-il intimé, fustigeant les « extrêmes » qui, « par leurs déclarations leur contestation, parfois de la légitimité de l’élection, s’éloignent du champ républicain ».
À quelques heures du scrutin, un tel discours peut-il encore porter alors que, sondage après sondage, la Nupes est donnée au coude-à-coude avec la majorité sortante voire devant elle, et que les projections en sièges, certes toujours périlleuses à réaliser, esquissent une perte de la majorité absolue pour les Macronistes ? En 1978, le discours de Giscard avait eu les effets escomptés et la droite à laquelle on promettait la défaite était sortie victorieuse. Quatre décennies plus tard, avec un pays fracturé comme jamais, miné par une abstention endémique qui s’annonce massive dimanche, fatigué par deux ans de pandémie et inquiet face à l’inflation galopante, pas sûr que le discours de Puycelsi ait les mêmes effets que celui de Verdun-sur-le-Doubs…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 10 juin 2022)