Le glyphosate est décidément l'un de ces dossiers autour desquels se joue une bataille qui paraît sans fin. Les arguments des pro et anti ont été tellement entendus, brassés, médiatisés, ressassés et caricaturés qu'entre les défenseurs de l'environnement et de la santé publique d'un côté, les agriculteurs et les industriels de l'autre, et les agences sanitaires au milieu dont l'impartialité et l'indépendance sont sujettes à caution, le citoyen lambda peine à s'y retrouver. Si l'on ajoute les études scientifiques contradictoires et une ribambelle de fake news sur les réseaux sociaux qui polluent et hystérisent le débat, on obtient un dossier miné dont on peine à voir un débouché apaisé.
Le rapport de la mission d'information parlementaire chargée d'évaluer le plan gouvernemental de sortie du glyphosate, conduite par deux députés LREM, Jean-Luc Fungit et Jean-Baptiste Moreau, permettra-t-il d'y voir plus clair ? Rien n'est moins sûr, mais il a au moins le mérite de dire quelques vérités. Et la première d'entre elle est que la mise en place – forcément louable – du principe de précaution dans l'usage de pesticides ne peut se faire sans la prise en compte d'un principe de réalité. La réalité que pointent les deux parlementaires est que, compte tenu de l'utilisation importante par les agriculteurs du glyphosate – pesticide aussi bon marché que redoutablement efficace –, toute suppression se traduira par un coût élevé pour les exploitants. Entre la main-d'œuvre, le carburant et les investissements, certaines exploitations verraient ainsi leurs charges augmenter de 50 à 150 euros l'hectare. Impensable pour des agriculteurs dont la majorité connaît de réelles difficultés économiques.
Surtout, pour tenir l'objectif de « sortir de l'essentiel des usages au 1er janvier 2021, et de tous les usages au 1er janvier 2023 » comme l'a rappelé la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, les deux députés estiment qu'il est « inconscient d'attendre le 31 décembre 2020 » pour savoir « quelles situations culturales » devront obligatoirement cesser d'utiliser l'herbicide le 1er janvier 2021 et celles qui pourront bénéficier d'un délai. Autrement dit, à une si brève échéance d'un bouleversement des pratiques, rien ne semble avoir été anticipé… De là à dire que l'interdiction du glyphosate n'a été qu'un effet d'annonce politique plutôt qu'une réelle démarche pour trouver des solutions de remplacement, il n'y a qu'un pas que les deux députés membres de la majorité franchissent presque…
En tout cas, à moins de deux ans de l'échéance d'interdiction, il serait peut-être temps de poser aussi clairement et calmement que possible les enjeux. Comment supprimer le glyphosate, quelles alternatives sont possibles, quelles aides faudra-t-il débloquer, quelle harmonisation européenne peut-on espérer ? Des questions qu'il devient urgent de régler.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 13 novembre 2019)