En découvrant il y a quelques mois les images des tranchées creusées par les Russes et les Ukrainiens de part et d’autre de la ligne de front, chacun a pensé aux images de Verdun. Comme sur les photos prises lors de la Première guerre mondiale, on découvrait à la télévision ou sur les réseaux sociaux des soldats vivant dans la boue, le froid et l’angoisse de la mort au combat. On voyait aussi la détermination des Ukrainiens à tenir coûte que coûte. On mesurait surtout combien cette guerre allait s’installer dans la durée.
Dix-huit mois après le lancement de l’ «opération spéciale » de Vladimir Poutine qui, en 48 heures, devait « dénazifier » l’Ukraine et renverser son gouvernement, la guerre est effectivement toujours là avec son cortège d’horreurs sur le front et à l’arrière où les civils sont tués par des bombardements et des drones. La contre-offensive lancée en juin par Kiev semble à la peine, incapable, faute d’appui aérien, de venir à bout des défenses russes pour percer la ligne de front. Si la découverte des tranchées rappelait la bataille de Verdun en 1916, cette guerre d’usure aux portes de l’Europe rappelle désormais l’enlisement de 1917 et l’échec de l’offensive du Chemin des Dames qui déclencha des mutineries et instilla le doute.
Plus d’un siècle après, la contre-offensive ukrainienne, qui récupère au prix fort chaque kilomètre carré occupé par les Russes, est sans doute décevante par sa lenteur, mais elle n’est pas encore un échec. La population soutient toujours massivement son gouvernement et son président Volodymyr Zelensky. Et, malgré l’âpreté des combats et les pertes humaines, il n’y a pas de mutineries, les militaires étant focalisés sur le seul objectif résumé cette semaine par le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba : la victoire et le rétablissement de la souveraineté de l’Ukraine dans ses frontières de 1991, c’est-à-dire avec la Crimée annexée par Vladimir Poutine en 2014.
L’objectif est légitime, mais pourra-t-il se réaliser ? Des voix s’élèvent parmi les alliés de l’Ukraine pour estimer que des négociations avec la Russie sont inévitables et que l’Ukraine, qu’on ne pourrait soutenir indéfiniment, devra « abandonner » certains de ses territoires à son voisin contre, par exemple, une adhésion à l’Otan. Ces propositions faites souvent en coulisses et parfois au grand jour – comme celle, stupéfiante de cynisme, de l’ancien président Nicolas Sarkozy – ne sont finalement que des ballons d’essai pro-russes qui ne proposent rien d’autre que d’entériner l’invasion de Vladimir Poutine. C’est-à-dire d’accepter que la force prime sur le droit international, que la signature des traités n’a aucune valeur, que le mensonge et les fake news supplantent les faits, qu’une démocratie soit attaquée non pas pour ce qu’elle aurait fait mais pour ce qu’elle est.
La perspective de négociations est évidemment inacceptable pour les Ukrainiens, elle n’est pas plus envisageable pour les Européens qui connaissent le prix de la guerre et dont les valeurs sont aujourd’hui défendues par Kiev.
En 1917, les Américains entraient en guerre et impulsaient un tournant décisif au conflit mondial. En 2023, les Ukrainiens attendent aussi des Américains et de leurs alliés, plus que des promesses, l’impulsion qui les aiderait à sortir de l’enlisement et décrocher la victoire.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 19 août 2023)