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Triple crime

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Alors que l’on attend depuis des semaines la contre-offensive ukrainienne avec laquelle Kiev espère reconquérir ses territoires occupés par la Russie, la destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka rebat les cartes d’un conflit qui se durcit. Pour l’heure, Russes et Ukrainiens se renvoient la responsabilité de cette explosion qui a partiellement détruit l’ouvrage, même si, lorsque l’on se demande à qui profite le crime, on voit bien que la Russie a tout à y gagner. L’inondation d’une grande partie de la zone du Dniepr, ce vaste fleuve sur la ligne de front, empêche, d’évidence, les soldats Ukrainiens de partir à la reconquête de Kherson, cette ville-clé coupée en deux, verrou des territoires du Donbass envahis par les Russes. Les inondations consécutives à l’explosion, traumatisantes pour des dizaines de villages qui ont dû être évacués face à la montée des eaux, réactivent aussi dans l’opinion ukrainienne et internationale la peur d’une catastrophe sur la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus grande d’Europe…

Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que des inondations sont provoquées pour ralentir l’ennemi. Durant la Première Guerre mondiale, fin octobre 1914, pour freiner les Allemands, les Belges et les Français déclenchent une vaste inondation au cours de la bataille de l’Yser. Les zones ainsi inondées resteront infranchissables quatre ans durant… En 1938, pour arrêter l’avancée japonaise vers l’Ouest et le Sud de la Chine, Tchang Kaï-chek décide d’ouvrir les digues du fleuve Jaune près de Zhengzhou et provoque des inondations qui feront quelque 800 000 victimes. Et le 18 août 1941, les Soviétiques détruisent la centrale hydroélectrique du Dniepr, tuant de 20 000 à 100 000 compatriotes civils et militaires qui n’avaient pas été avertis…

En 1949, au sortir de la Seconde Guerre mondiale sont édictées les conventions de Genève dont plus tard l’article 56 du Protocole additionnel convient que « les ouvrages d’art ou installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d’énergie électrique, ne seront pas l’objet d’attaques, même s’ils constituent des objectifs militaires, lorsque de telles attaques peuvent provoquer la libération de ces forces et, en conséquence, causer des pertes sévères dans la population civile ».

Cela fait longtemps que Vladimir Poutine ne s’encombre pas de ces règles de la guerre. Depuis le déclenchement de son « opération spéciale », le maître du Kremlin a ainsi multiplié les crimes de guerres, bombardant des cibles civiles ou commettant des massacres comme à Boutcha ou Izioum. Les Ukrainiens espèrent bien que le président russe répondra un jour de ses actes devant un tribunal pénal international.

« Les terroristes ne pourront pas arrêter l’Ukraine avec de l’eau, des missiles ou quoi que ce soit d’autre », a réagi hier le président ukrainien Volodymyr Zelensky face à ce triple crime, de guerre, environnemental et humanitaire. Car si la montée des eaux après la destruction du barrage va compliquer et peut-être retarder la contre-offensive militaire ukrainienne, elle a déjà provoqué une catastrophe environnementale majeure et irréversible, bouleversant les écosystèmes du Dniepr, et rajouté des drames humains avec l’évacuation de nombreux villages le long du fleuve, devenu aujourd’hui l’épicentre de la guerre.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 7 juin 2023)

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