Après le mouvement des bonnets rouge en 2013 qui enterra à la taxe carbone et ses portiques, après le mouvement des Gilets jaunes, né en 2018 de la contestation de la hausse des prix des carburants et, là encore, de la taxe carbone, s’achemine-t-on vers une nouvelle fronde ayant pour cible les ZFE, les zones à faibles émissions qui excluent des grandes villes les véhicules les plus polluants ? Nous n’en sommes pas encore là, mais la colère couve alors que de 11 ZFE, la France doit passer à 43 au 31 décembre 2024.
Cette extension des ZFE se justifie parfaitement pour répondre à une question majeure de santé publique : le fléau de la pollution de l’air aux particules fines. Selon une étude de Santé publique France, celle-ci est responsable de quelque 40 000 décès prématurés en France par an et d’une baisse de l’espérance de vie pour les personnes exposées. Le trafic routier étant responsable de 57 % des émissions d’oxydes d’azote et d’une large part des particules fines, prendre des mesures pour le limiter en ciblant les véhicules les plus polluants paraît donc non seulement logique mais parfaitement légitime pour que les habitants des grandes agglomérations respirent mieux. Instaurer des ZFE pour un certain type de véhicules anciens semble être d’autant plus une bonne idée qu’elle a déjà fait ses preuves en Europe, où il existe environ 200 zones de ce type.
Reste que, comme la taxe carbone, l’instauration des ZFE se heurte à la réalité du terrain en impactant fortement la vie quotidienne des millions de Français propriétaires de véhicules anciens et/ou trop polluants. Des Français qui, faute de disposer d’une offre de transports en commun suffisante et attractive, ou faute d’aide à l’achat de véhicules plus propres, ne peuvent pas se passer de leur voiture actuelle et craignent dès lors légitimement de se retrouver exclus des centres-villes. Sauf à payer des amendes qui rappellent l’octroi d’autrefois…
Ce sentiment de relégation – l’association 40 millions d’automobilistes parle de zone à exclure – s’est de plus accentué avec l’impression des « territoires » que l’idée des ZFE a été imaginée depuis Paris par quelques technocrates déconnectés du terrain, comme l’abaissement de la limitation de vitesse sur les routes secondaires de 90 à 80 km/h avait été décidé sans aucune concertation.
Cette fois pourtant, les territoires font entendre leur voix. L’exécutif – qui a tiré les leçons de ses erreurs passées – a pris soin de missionner le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc sur le sujet. L’édile a mis en garde contre des ZFE « pas assez sociales », plaidant pour en changer les modalités de mise en œuvre. Hier, le Sénat a remis un rapport préconisant notamment un meilleur soutien de l’État aux élus, le décalage du calendrier très serré et la nécessité de développer l’offre de transports collectifs et les aides à l’achat de véhicules propre.
L’exécutif va devoir se saisir de ce dossier, véritable patate chaude après le long conflit des retraites. Même si toute une série d’aides a été mise en place pour permettre de changer de véhicule, même si les ZFE ont été appuyées par la Convention citoyenne pour le Climat, on sent bien qu’il faut aller plus loin et que le nerf de la guerre sera l’argent. Il faut, d’évidence, un plan Marshall dès à présent pour que tous les Français soient égaux devant la transition écologique à laquelle on n’échappera pas.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 15 juin 2023)