Depuis 18 mois que la France est confrontée à une inflation galopante, on peut apprécier la situation selon le principe du verre à moitié vide ou à moitié plein. Côté positif, la France subit une inflation moindre que celle de ses voisins européens et les dispositifs d’aides mis en place par le gouvernement ont permis de limiter les hausses de prix, notamment dans l’énergie. Sur un an, selon l’estimation provisoire réalisée par l’Insee fin mai, les prix à la consommation augmenteraient de +5,1 % en mai 2023, après +5,9 % le mois précédent. De bon augure, certains estiment même que le pic de l’inflation est peut-être derrière nous.
Mais il y a aussi le verre à moitié vide car si la hausse de l’inflation ralentit, il s’agit bien tout de même d’une hausse des prix qui pèse de plus en plus sur le budget des ménages. Sur un an en mai, l’Insee estime l’inflation dans l'alimentaire à +14,1 % (après +15 % en avril), dont +10,4 % sur les produits frais… Des hausses corroborées par le panier constitué par Franceinfo et NielsenIQ : au niveau national, ce panier coûte en moyenne 109,66 € en mai, avec une inflation de +16,7 % sur un an, soit +1,50 € de hausse depuis avril. On est donc loin de l’accalmie.
Les prix restent élevés et ne semblent pas près de vouloir baisser, particulièrement sur les grandes marques. Sommés de revenir à la table des négociations avec les distributeurs, les géants de l’agro-alimentaire (qui avaient obtenu fin mars +10 % de hausse de leurs prix) semblent traîner des pieds et être insensibles aux menaces de Bercy. Les consommateurs peuvent toujours se tourner vers les marques premiers prix ou celles des distributeurs, le sentiment reste que les courses sont toujours aussi chères, même s’il existe de significatives disparités d’un département à l’autre.
Mais derrière ces chiffres qui occupent les économistes, encourageants pour les uns, préoccupants pour les autres, il y a aussi une réalité humaine qui devrait interpeller tous les acteurs politiques et économiques. Une enquête Ifop vient de révéler combien l’inflation pesait non seulement sur le porte-monnaie des Français mais aussi sur leur moral et leur santé. Plus d’un Français sur deux (58 %) a ainsi réduit ses dépenses alimentaires pour des motifs financiers, un sur deux (51 %) en vient même à « sauter des repas » régulièrement ou occasionnellement quand d’autres renoncent à certaines dépenses aussi banales que d’aller chez le coiffeur ou, plus inquiétant, reportent des dépenses de santé, prenant le risque d’aggraver leur état. L’Ifop pointe aussi qu’au 10 du mois, c’est-à-dire après le prélèvement des dépenses « contraintes », un Français sur trois (31 %) se retrouve avec un « reste à vivre » de moins de 100 € sur son compte en banque ; 10 % sont déjà à découvert…
Pour ces Français en difficultés financières et psychologiques, hanté pour certains par un possible déclassement, parler de baisse de l’inflation passe mal. Deux Français sur trois trouvent que leur pouvoir d’achat s’est dégradé ces douze derniers mois et les trois quarts d’entre eux estiment que le gouvernement n’en fait pas assez pour lutter contre la hausse des prix…
À l’heure où l’exécutif, qui veut en finir avec le « quoi qu’il en coûte », estime pouvoir tourner la page des retraites pour partir réformer le travail, l’immigration ou les conditions d’attribution du RSA, il ne devrait pas oublier combien le pouvoir d’achat reste la préoccupation numéro 1 des Français et combien l’inflation pèse toujours très lourdement sur la vie des citoyens.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 6 juin 2023)