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Le revers de l'ambition

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La coupe du monde de football qui commence ce dimanche au Qatar va mettre les projecteurs sur ce petit émirat qui, depuis près de trente ans, ne poursuit qu’un objectif : jouer dans la cour des grands. On ne doit ce dessein, rendu possible par les milliards de dollars du pétrole et du gaz dont regorge le sous-sol du pays, que par la farouche volonté d’indépendance affichée par la famille régnante Al Thani, au pouvoir depuis 1971, mais aussi par la vision du père de l’émir actuel qui a compris que la diversification de son économie et l’ouverture au monde de son pays étaient la clé de l’avenir.

Depuis 1995, le Qatar déploie, en effet, une méticuleuse stratégie d’influence, un soft power qui a commencé par la chaîne d’information en continu Al Jazeera et s’est poursuivi une décennie plus tard par la création du richissime fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA). Doté de 460 milliards de dollars, il investit partout dans le monde dans les transports et les industries, la finance et l’immobilier, les médias et, donc, le sport.

À cette frénésie s’ajoute une intense et singulière activité diplomatique. Dans une position de pivot entre l’Arabie saoudite et l’Iran, le Qatar se targue de pouvoir parler à tous et de soutenir qui bon lui semble – on l’a ainsi vu appuyer certains des printemps arabes en 2011 – pour devenir un interlocuteur incontournable au Moyen-Orient, dans les pays arabes et de l’Occident où il paye rubis sur l’ongle avions de chasse et armements.

L’attribution en 2010 de la coupe du monde de 2022 a constitué l’apothéose de cette stratégie. Être le premier pays arabe à accueillir cette compétition consacrait l’émirat comme un pays qui pèse. C’était sans compter sur un terrible effet boomerang qui bouscule aujourd’hui le Qatar, comme le revers d’une ambition jusqu’à présent toujours couronnée de succès. Car ce qui pouvait passer il y a 12 ans ne passe plus aujourd’hui et l’émirat se retrouve noyé sous un flot de critiques.

Des soupçons de corruption au sort des travailleurs migrants dont plus de 6 500 sont morts sur les chantiers des stades, de l’impact environnemental de la compétition au non-respect des droits de l’Homme et des homosexuels, en passant par la place des femmes et les appels internationaux au boycott, le petit émirat – qui a mal anticipé l’exposition médiatique d’une coupe du monde – est attaqué de toutes parts et crie à l’injustice. Il est vrai pour sa défense que ses contempteurs, qui s’indignent bien tardivement et parfois même après avoir largement profité de ses pétrodollars, étaient cyniquement bien moins regardants pour la coupe du monde de la Russie, et que le Qatar, s’il conserve des pratiques intolérables quant aux droits humains, a progressé et entamé des réformes qui sont absentes chez ses voisins.

Contrairement à ce qu’à dit hier Emmanuel Macron qui ne veut pas « politiser le sport », la coupe du monde de football – tout comme les JO – a toujours été un acte politique, de géopolitique même car elle reste l’un des rares événements où le monde entier se retrouve et se regarde. Elle dit aussi une vérité sur l’époque et sur des pratiques qui, en l’occurrence, devront évoluer. Mais cela ne peut être que l’affaire de tous et, à quelques heures du premier coup de sifflet, pas seulement du Qatar ou des joueurs. En revanche, ces derniers sont bien légitimes pour rappeler à tous qu’ils sont porteurs des valeurs du sport où les discriminations n’ont pas leur place.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 18 novembre 2022)

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