C’était le 10 décembre 2020. Le Premier ministre Jean Castex indiquait qu’il n’y aurait plus de confinement mais un couvre-feu de 20 heures à 6 heures Les musées, les théâtres et les salles de cinéma ne pourraient donc pas rouvrir le 15 décembre comme cela était initialement prévu. Un crève-cœur pour le monde du cinéma brutalement mis à l’arrêt par la pandémie de Covid-19. Invité à réagir aux annonces gouvernementales, l’acteur et réalisateur Matthieu Kassovitz jette un pavé dans la mare en estimant que les salles de cinéma ne sont « pas essentielles » en pleine épidémie. « Je pense que le futur du cinéma n’est plus là, c’est comme se battre pour qu’une espèce animale ne disparaisse pas », assène l’enfant terrible du cinéma français.
Des propos alors à contre-courant de toute la profession dont beaucoup de membres, notamment les intermittents et tous ceux qui sont derrière les caméras, ont été très affectés par le Covid et l’arrêt des tournages et des cinémas. Mais des propos qui illustraient aussi cette nouvelle étape qui se présentait au cinéma. Car ce n’est pas la première fois que le cinéma est donné pour mort. Le passage du cinéma muet au cinéma parlant, l’arrivée de la télévision, le boom du piratage avec l’arrivée d’internet à haut débit, et enfin l’essor des plateformes de vidéo à la demande par abonnement : à chaque fois, ces évolutions font dire que le cinéma est fini. Louis Lumière lui-même aurait lâché que « le cinéma est une invention sans avenir » peu après la première projection de « L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat ». C’était en 1896. Et pourtant, le cinéma est toujours là.
Aujourd’hui, après deux années de pandémie qui ont cloîtré les spectateurs chez eux, le cinéma – et donc les salles de cinéma – doit faire son introspection pour mesurer quelle est la nouvelle donne.
D’un côté, des plateformes de vidéo à la demande américaines surpuissantes (Netflix, Amazon Prime video, Disney +, Apple TV +), renforcées par les confinements du Covid et disposant de moyens considérables pour réaliser des séries à la chaîne et attirer aussi les plus grands cinéastes pour des films qui n’ont rien à envier à ceux des studios classiques. Le tout pour le prix d’une place de cinéma… par mois. Des (télé) spectateurs qui, à coups d’écrans plats de plus en plus grands et de moins en moins chers, peuvent avoir chez eux un « home cinema » qui n’égale pas l’écran d’une salle mais surpasse largement la petite télé d’autrefois. Dès lors pourquoi sortir ?
De l’autre côté des salles de cinémas qui ont massivement investi pour proposer la meilleure expérience. Son exceptionnel, écrans XXL, sièges vibrants : les multiplexes rivalisent de technologies bluffantes… au prix d’une augmentation faramineuse du prix de la place. Sur un autre versant, les cinémas indépendants ont eux aussi investi pour adapter les salles et y organiser des animations.
Dans un pays qui aime le cinéma et a su créer un système de financement singulier, la salle de cinéma peut redevenir le lieu de rencontre et de partage, à condition que le monde du cinéma se réinvente et peut-être même se recentre sur l’essentiel : l’émotion qu’il nous procure dans une salle obscure, les histoires qu’il nous raconte, les réflexions qu’il nous invite à avoir sur nos vies comme sur la marche du monde. La mort du cinéma, c’est plutôt sa transformation, sa réinvention. L’heure de la dernière séance n’est pas encore arrivée.