À trop se concentrer sur les GAFAM, les géants Américains de la Silicon Valley que sont Google, Amazon, Facebook et dans une moindre mesure Apple et Microsoft, autant de sociétés aux PDG stars, on en a presque oublié que le monde recelait aussi d’autres géants du numérique, et notamment en Chine. Dans l’empire du milieu où internet est placé sous l’implacable contrôle du régime communiste qui manie surveillance et censure, on les appelle les BATX pour Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi. Quatre des plus grandes entreprises technologiques mondiales qui sont bien moins connues du grand public que leurs équivalents américains. Mais ça, c’était avant que ne débarque TikTok.
Le réseau social de partage de vidéos courtes, adapté d’un réseau 100 % chinois, a, d’évidence, changé la donne. En six ans, il a conquis la planète et particulièrement la planète ado, les jeunes répondant du tac-au-tac à TikTok pour relever ses challenges, danser et chanter. Une tactique payante construite sur de puissants algorithmes. Propriété du leader chinois de l’intelligence artificielle, ByteDance – qui a su lever plus de 4 milliards de dollars y compris auprès de fonds d’investissement américains – TikTok connaît un insolent succès partout sur la planète au point de donner des sueurs froides aux réseaux sociaux américains. Tous ont peu ou prou copié les fonctionnalités de TikTok qui totalise ,1,5 milliard d’utilisateurs, mais sans pouvoir freiner sa progression incroyable… et inquiétante.
Inquiétante d’abord pour les utilisateurs et leurs parents. Contenus violents ou inappropriés, instrument de harcèlement scolaire, vecteur de challenges dangereux : TikTok, dont la modération est plus que perfectible, a souvent créé la polémique. Le réseau social illustre aussi combien l’addiction aux écrans est forte chez les adolescents et combien les adultes et l’Éducation nationale doivent accompagner les jeunes dans l’utilisation des applications sociales.
Inquiétante ensuite car TikTok – sous contrôle de l’État chinois qui peut à tout moment jouer les censeurs sur tel ou tel contenu ou exiger d’avoir accès aux données collectées – fonctionne de manière opaque et sans que l’on sache exactement comment il traite les données de ses utilisateurs et ce qu’il sait exactement d’eux. La fuite d’enregistrements de réunions internes a d’ailleurs montré que des données de membres américains non publiques ont été transférées à Pékin. « Tout se voit en Chine », lâchait même un cadre de TikTok…
Soupçonné tantôt d’être un cheval de Troie de la propagande chinoise, d’être un outil d’espionnage ou une arme de manipulation dans les nouvelles guerres informationnelles, TikTok s’est retrouvé sur la sellette. Interdit en Inde, il pourrait l’être aux États-Unis où Donald Trump en avait fait sa bête noire et se retrouve en tout cas sous la loupe de plusieurs régulateurs, dont celui de l’UE qui lui rappellera nos règles. Celles du règlement général de la protection des données (RGPD), en vigueur depuis 2018, ou la nouvelle directive Digital Services Act (DSA), qui va imposer des obligations aux plateformes numériques (lutte contre les contenus illégaux, la désinformation, les atteintes à la liberté d’expression, aux mineurs et à leur santé mentale). Des garde-fous plus que jamais nécessaires.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 18 novembre 2022)