Des files de voitures qui s’étirent dès potron-minet devant certaines stations-service et des cuves de carburants qui se retrouvent très vite en rupture et qui parfois peinent à être réalimentées : telle est la situation inédite que vivent le groupe TotalEnergies et ses clients depuis plusieurs jours maintenant. Pour le pétrolier français, il s’agit là comme de la rançon de la gloire. Car cet engouement des Français pour les stations-service Total vient du fait qu’elles affichent aujourd’hui les prix parmi les plus bas de France puisqu’elles cumulent à la fois la ristourne gouvernementale de 0,30 €/L et la ristourne de Total de 0,20 €/L. En accordant une réduction dans ses 3 500 stations – comme il l’avait déjà fait à trois reprises depuis avril dernier avec des modalités toutefois un peu différentes – TotalEnergies martèle qu’il a à cœur de défendre le pouvoir d’achat des Français dans un contexte d’inflation galopante. Voire. Car ce cadeau si généreux en apparence – et qui agace les concurrents de Total – semble représenter la contrepartie tacitement garantie par le gouvernement de ne pas taxer les superprofits colossaux de Total Énergies (18,8 milliards de résultat net ajusté au premier semestre, 2,6 milliards de dividendes versés).
Ce « donnant-donnant » a d’ailleurs été confirmé par le PDG de TotalEnergies en personne lorsque celui-ci a été entendu à l’Assemblée nationale par la mission flash sur les entreprises pétrolières et gazières et celles du secteur du transport maritime qui ont dégagé des profits exceptionnels pendant la crise. Interrogé pour savoir si sa ristourne serait maintenue en 2023, le PDG Patrick Pouyanné a expliqué aux députés que tout dépendrait du niveau de la « contribution » que l’Union européenne va mettre en place.
Car si Bruno Le Maire a botté récemment en touche en expliquant ne pas savoir ce qu’est un « superprofit » tandis que les élus de la Nupes ont enclenché la longue procédure d’un référendum d’initiative populaire (RIP) pour créer une taxe, le sujet dépasse désormais le cadre national. Il est devenu européen, voire mondial. « Il n’est pas juste de réaliser des bénéfices extraordinaires grâce à la guerre et sur le dos des consommateurs. En ce moment, les bénéfices doivent être partagés et redirigés vers ceux qui en ont le plus besoin. Notre proposition lèvera plus de 140 milliards d’euros pour les États membres, pour amortir le choc directement », a rappelé la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans son discours sur l’État de l’Union. Plus direct encore, le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, estimait qu’ « il est immoral que les firmes du pétrole et du gaz engrangent des profits records grâce à la crise énergétique sur le dos des plus pauvres, le tout ayant un énorme coût pour le climat. J’exhorte tous les gouvernements à taxer ces profits excessifs. »
Faire que les superprofits des pétroliers profitent non seulement aux actionnaires mais aussi aux salariés et aux clients est donc bien dans l’air du temps. Mais ce juste et nécessaire partage pour permettre aux automobilistes de ne pas se ruiner en utilisant leur voiture doit aussi se doubler d’une réflexion accélérée sur la sortie des énergies fossiles. Car c’est bien là que se trouve la vraie rupture…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 4 octobre 2022)