Aux défis que doit relever le président des États-Unis – inflation, réchauffement climatique, guerre en Ukraine, tensions à Taïwan, crise énergétique, souveraineté technologique, polarisation extrême de la société… – Joe Biden en ajoute un autre, plus intime mais pas moins politique, celui de son âge. Devenu le 20 janvier 2021 le président le plus âgé à entrer à la Maison Blanche, le démocrate natif de Scranton (Pennsylvanie) fêtera son 80e anniversaire le 20 novembre prochain. Ce n’est certes pas la première fois que les Américains ont un président âgé – en 1989, le républicain Ronald Reagan achève son second mandat à l’âge de 78 ans et il y a un an, Donald Trump a dû quitter la présidence à l’âge de 75 ans. Mais dans un pays qui a porté au pinacle le culte du corps et de la jeunesse, et qui a la nostalgie d’un fringant John Fitzgerald Kennedy à la Maison Blanche, voire d’un Bill Clinton ou d’un Barack Obama, dont la jeunesse irradiait sur la scène internationale aux côtés de dirigeants plus vieux, l’âge de Joe Biden est devenu un sujet.
Les adversaires républicains et trumpistes de Joe Biden n’ont jamais cessé de se moquer de sa moindre faiblesse, du plus petit faux pas ou de la énième gaffe. Car le madré Joe Biden, qui connaît tout des arcanes du pouvoir à Washington au terme d’une impressionnante carrière politique commencée en novembre 1972 au Sénat, est un incroyable gaffeur. Ses bévues, ses méprises, ses couacs largement documentés au moment de la campagne électorale de 2020, lui ont souvent joué des tours et, l’âge venant, se sont doublés d’interrogation sur sa forme mentale et physique. La dernière en date, où il appelle lors d’un discours une ancienne élue républicaine décédée au mois d’août, a jeté le trouble jusque dans son propre camp et surtout fait les choux gras des soutiens de Donald Trump – qui a toujours moqué Biden en le qualifiant de « Sleepy Joe », Joe l’endormi – et les délices des réseaux sociaux.
Pour autant, derrière les ricanements qui confinent souvent à un détestable âgisme, rien n’indique que Joe Biden n’ait plus toute sa tête. Une démarche plus lente, quelques trous de mémoire, une butée sur un mot – Biden est un ancien bègue – ne préjuge en rien des capacités intellectuelles du président des États-Unis. Franklin Delano Roosevelt, le grand président aux quatre mandats, a autrement souffert dans sa chair de la polio sans que personne ne remette en doute sa capacité à prendre les bonnes décisions pour les États-Unis. Par ailleurs, contrairement aux régimes autoritaires où des potentats grabataires sont maintenus au pouvoir par leur entourage, les présidents américains subissent des examens médicaux bien plus poussés et transparents que n’importe où ailleurs.
Ce questionnement sur l’âge de Biden – que lui-même admet parfaitement d’ailleurs – est bien sûr légitime car le rythme effréné d’une présidence est plus usant que bien des métiers, mais il dit aussi beaucoup de la vision qu’ont nos sociétés de la vieillesse et de la place qu’elles veulent faire aux seniors alors que ceux-ci peuvent être des atouts. Henry Kissinger, 99 ans, Pierre Soulages, 102 ans, Édgar Morin, 101 ans, Barry Sharpless, double prix Nobel de chimie depuis hier, 81 ans, ont toujours à nous apprendre.
À trop se focaliser sur l’âge, on en oublie l’essentiel. En glosant sur le trou de mémoire de Biden, on a perdu l’important : le président des États-Unis venait de présenter un plan massif pour mettre fin à la faim aux États-Unis d’ici 2030…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 6 octobre 2022)