Accéder au contenu principal

Déni de réalité

poutine

Vladimir Poutine peut-il perdre la guerre ? Cette question, incongrue au début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, ne cesse de revenir depuis que son armée – que l’on croyait puissante et incomparablement supérieure en hommes et en armements face à celle de son voisin – s’est retrouvée confrontée à une résistance aussi inattendue qu’héroïque des Ukrainiens, galvanisés par leur président-courage, Volodymyr Zelensky, cet acteur comique devenu le symbole des valeurs démocratiques et de la lutte pour la liberté. L’ « opération militaire spéciale » russe devait être une Blitzkrieg permettant de prendre Kiev en quelques jours et de remplacer Zelensky par un gouvernement fantoche à la solde du Kremlin ; elle s’est transformée en un chemin de croix et parfois en une véritable Berezina.

Difficultés logistiques majeures autour de matériels vieillissants, problèmes de sécurisation des communications, pertes humaines : les soldats russes, dont beaucoup inexpérimentés, ont essuyé de nombreux échecs face à une armée ukrainienne fortement aidée par les livraisons d’armes des Occidentaux. Et si l’armée russe a pu conquérir partiellement les territoires de quatre régions, au prix parfois de terribles exactions, elle subit depuis quelques semaines une puissante contre-offensive ukrainienne qui a poussé Poutine dans ses retranchements. En décrétant la mobilisation partielle de 300 000 hommes fin septembre, en précipitant des référendums d’annexion à la Russie de quatre régions dont il ne contrôlait pas la totalité du territoire, et en brandissant une énième fois la menace nucléaire à l’adresse non seulement de l’Ukraine mais aussi des Occidentaux, Vladimir Poutine a clairement choisi une fuite en avant dont personne ne peut prédire l’issue et semble s’enferrer depuis dans une réalité alternative.

L’exil de milliers de Russes qui refusent d’être enrôlés pour aller se battre en Ukraine, les frémissements de l’opinion publique russe qui s’interroge de plus en plus ouvertement sur le bien-fondé de cette guerre condamnée par la communauté internationale, les soutiens habituels du Kremlin qui commencent à douter sur la télévision d’État et parlent désormais bien de « guerre », un mot qui était interdit par le pouvoir, les revers militaires cuisants sur le terrain et les pressions de plus en plus insistantes de la Chine ou de l’Inde qui l’invitent désormais à mettre fin au conflit : rien de tout cela ne semble ébranler Vladimir Poutine qui continue à dérouler son récit d’une Russie agressée et bientôt victorieuse.

Ce déni de réalité et son cortège de mensonges – qui ont poussé mercredi Andreï Kartapolov, président du Comité de Défense de la Douma, à demander à l’armée d’« arrêter de mentir » sur ses défaites – s’expliquent par le fait que Poutine n’a préparé aucun plan B dans son « opération militaire spéciale » et qu’il ne peut admettre une défaite militaire qui signerait pour lui sa propre fin. Dès lors, ce n’est pas tant la question de savoir si Poutine peut perdre la guerre qui compte, mais plutôt qui, dans les hautes sphères du Kremlin où les jusqu’au-boutistes sont nombreux, va pouvoir lui faire admettre cette défaite sans qu’il perde la face…

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 7 octobre 2022)

Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

La messe est dite ?

    L’entourage de François Bayrou a beau tenter d’expliquer que l’échec du conclave sur les retraites n’est imputable qu’aux seuls partenaires sociaux qui n’ont pas réussi à s’entendre en quatre mois pour « améliorer » la contestée réforme des retraites de 2023, la ficelle est un peu grosse. Car, bien évidemment, cet échec – hélas attendu – est aussi celui du Premier ministre. D’abord parce que c’est lui qui a imaginé et convoqué cette instance inédite de dialogue social et qu’il aurait naturellement revendiqué comme le succès de sa méthode un accord s’il y en avait eu un. Ensuite parce qu’il n’a pas été l’observateur neutre des discussions, qu’il promettait « sans totem ni tabou ». Il a au contraire, plusieurs fois, interféré : dès leur lancement en les corsetant par une lettre de cadrage imposant de ne pas créer de dépenses et d’équilibrer les comptes à l’horizon 2030 ; ensuite par son refus de voir abordé l’âge de départ à 64 ans, point centra...

Urgence démographique

  Présentées dans la torpeur de l’été, les statistiques démographiques de l’Insee devraient pourtant tous nous inquiéter et nous réveiller. Avec une baisse de 2,2 % du nombre quotidien de naissances moyen entre le premier semestre 2024 et celui de 2025, la France devrait atteindre une nouvelle fois son plus bas niveau depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et cela pour la quatrième année consécutive, sans que l’on perçoive la possibilité d’un retournement prochain de situation. Dans le même temps, en cumul de janvier à juin, le nombre de décès quotidien moyen est plus élevé en 2025 qu’il ne l’était un an auparavant : + 2,5 %. Implacable logique d’un solde naturel qui montre d’un côté une France qui ne fait pas assez d’enfants, de l’autre une France dont la population vieillit à grande vitesse. Au 1er janvier 2025, 21,8 % des habitants avaient au moins 65 ans, contre 16,3 % en 2005 ; les personnes âgées d’au moins 75 ans représentent désormais 10,7 % de la population, contre 8...