Pour célébrer ses cinquante ans d’existence, le groupe Airbus avait choisi la date du 29 mai 1969, celle de l’accord gouvernemental entre Paris et Berlin pour lancer le premier programme de l’avionneur européen, l’A300B. Cette date avait évidemment du sens car elle concrétisait une incroyable ambition européenne en devenir. Moins de vingt-cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France et l’Allemagne et ensuite le Royaume-Uni et l’Espagne, scellaient une alliance politique et industrielle historique pour que l’Europe ne soit pas absente d’un marché aéronautique alors dominé par les États-Unis. Cinquante ans plus tard, toute la flotte des avions d’Airbus accompagnée par la patrouille de France survolait Toulouse, le 29 mai 2019, pour marquer les débuts de cette aventure aéronautique européenne et les succès enregistrés depuis.
Mais pour tous les passionnés d’aéronautique, pour tous ceux qui – de l’ouvrier à l’ingénieur, du pilote d’essai au pilote de ligne, du personnel au sol à celui navigant – appartiennent à la famille d’Airbus et plus largement à celle de l’aviation, le « vrai » cinquantenaire est peut-être davantage aujourd’hui, car c’est le 28 octobre 1972 que s’est déroulé le premier vol de l’A300B. « Un vol de routine, un vol historique », notera Bernard Ziegler, le directeur des essais qui supervisait le vol du prototype numéro 1 de l’A300B. Sans imaginer peut-être que cet avion allait être le premier d’une incroyable lignée, s’imposant – non sans mal – aux États-Unis par ses qualités de construction et de pilotage, puis partant à la conquête du monde jusqu’en juillet 2007, date à laquelle le dernier exemplaire de l’A300 sortit des chaînes de montage. Entre-temps, Airbus était devenu un géant.
L’histoire de cet avion pionnier, dont on peut voir un exemplaire au musée Aeroscopia de Blagnac, est aujourd’hui riche d’enseignements, pour la France et pour l’Europe. Alors que le monde traverse une crise énergétique majeure exacerbée par la guerre en Ukraine et doit affronter l’immense défi du dérèglement climatique, nous avons plus que jamais besoin de retrouver l’audace de grands projets industriels, le courage d’imaginer de nouveaux horizons, l’aplomb de revendiquer une ambition partagée au niveau européen.
Lorsqu’Airbus est né, quelques mois avant le premier choc pétrolier, la situation internationale n’était pas moins compliquée qu’aujourd’hui, et l’état des connaissances scientifiques et techniques était bien moins avancé. Et pourtant, en dépit de toutes les difficultés et de toutes les Cassandre, des hommes visionnaires ont osé imaginer demain et, comme Saint-Exupéry, ne se sont pas contentés de prévoir l’avenir, mais de le rendre possible.
Aujourd’hui, à l’heure où l’on parle de réindustrialisation et de souveraineté économique, cet esprit pionnier doit nous animer à nouveau pour lancer d’autres « Airbus », dans la voiture électrique, dans la recherche scientifique et médicale, dans le new space ou le métavers, dans l’intelligence artificielle ou la robotique… Voilà la plus belle façon de célébrer les cinquante ans du premier Airbus.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 28 octobre 2022)