Accéder au contenu principal

Télé ou réalité ?

 

justice

L’anecdote est sans doute arrivée à tous les présidents de tribunal de France. Appelé à la barre, un témoin s’adresse à eux en leur donnant du "Votre honneur", la formule, incongrue ici, mais qui est la règle devant les tribunaux américains. On y verra le poids des films ou séries télé qui mettent en scène habilement des procès de fiction ou celui de l’actualité puisqu’outre-Atlantique les procès filmés en direct sont la règle, de celui d’OJ Simpson qui a battu des records d’audience à celui qui se déroule en ce moment de Derek Chauvin, le policier accusé d’avoir tué George Floyd à Minneapolis.

Filmer des procès en France, comme le propose la réforme de la justice présentée hier en Conseil des ministres par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti participera-t-il à faire de la pédagogie auprès de Français qui connaissent mal leur justice ? Voire. Jusqu’à présent, seuls de grands procès étaient filmés : celui du tortionnaire de Jean Moulin Klaus Barbie, celui de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, ou celui plus récent de l’attentat contre Charlie Hebdo. Filmer certains procès moins retentissants médiatiquement risque de s’avérer complexe tant sur le plan des moyens techniques à mobiliser que du bouleversement que cela peut provoquer sur les déroulements des audiences et leur permanence dans le temps – quid du droit à l’oubli ?

Mais cette captation des procès que le garde des Sceaux a inscrite à l’article 1 de son projet de loi et qui suscite le débat n’est-elle pas l’arbre qui cache la forêt ? Car derrière la télé, il y a la réalité d’une loi qui entend bouleverser l’un des fondements de la justice française : la place du peuple au nom duquel elle est rendue. On peut comprendre la nécessité de tout faire pour que la justice soit plus rapide et en finisse avec d’insupportables délais pour organiser les procès d’assises notamment.

Généraliser les cours criminelles départementales pour les crimes passibles de quinze à vingt ans de réclusion permettra certes de désengorger les cours d’assises mais au détriment de la présence des jurés populaires, remplacés de fait par des magistrats. La loi Dupond-Moretti entend rétablir "la confiance en l’institution judiciaire". Pour accélérer les audiences, ne va-t-elle pas au contraire entamer un peu plus une confiance qui est déjà – plutôt à tort qu’à raison – bien basse ; un Français sur deux seulement ? Et relancer les critiques récurrentes sur une prétendue république des juges ? N’aurait-il pas fallu d’abord donner les moyens financiers et humains à une justice sous-dotée avant de toucher à la souveraineté populaire qui en est l’un des piliers ?

La réforme surprend d’autant plus qu’elle vient d’un ancien avocat pénaliste qui a gagné son surnom d’Acquitator justement auprès de jurés dont il a su faire basculer l’intime conviction… et qui connaît donc parfaitement ce qui se joue de droit, de démocratie et d’humanité dans les procès d’assises. On ne sait si Eric Dupond-Moretti a retourné sa robe en confondant vitesse et précipitation. Mais chacun devrait se souvenir de Voltaire qui assurait qu’"un jugement trop prompt est souvent sans justice"…

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 15 avril 2021)



Posts les plus consultés de ce blog

Grandiose !

  Cent ans après les JO de Paris de 1924, les XXXIIIes Jeux Olympiques d’été de l’ère moderne se sont ouverts hier dans la Capitale au terme d’une cérémonie d’ouverture exceptionnelle qui est entrée dans l’histoire en en mettant plein les yeux au monde entier. Les athlètes ont défilé non pas dans un Stade olympique mais en bateau, sur la Seine, sur un parcours rythmé par une mise en scène de toute beauté mettant en valeur la France, son patrimoine, son Histoire, ses talents, avant de rejoindre le Trocadéro devant une Tour Eiffel parée des anneaux olympiques. Nul doute que cette cérémonie réussie, émouvante, populaire, inédite, fera date en se rangeant dans la longue liste des défilés qui ont marqué les JO mais aussi l’histoire de notre pays, de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 à celle pour le Bicentenaire de la Révolution française en 1989, en passant par la Libération de Paris dont on va bientôt célébrer les 80 ans. Cette cérémonie ponctue plusieurs années de préparatio...

Guerres et paix

La guerre menace encore une fois le Pays du Cèdre, tant de fois meurtri par des crises à répétition. Les frappes israéliennes contre le sud du Liban et les positions du Hezbollah ravivent, en effet, le spectre d’un nouveau conflit dans cette Terre millénaire de brassage culturel et religieux. Après quinze années de violence qui ont profondément marqué le pays et ses habitants (1975-1990), la paix est toujours restée fragile, constamment menacée par les ingérences étrangères, les divisions communautaires et une classe politique corrompue. La crise économique sans précédent qui frappe le pays depuis 2019, puis l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en 2020, symbolisant l’effondrement d’un État rongé par des décennies de mauvaise gouvernance, ont rajouté au malheur de ce petit pays de moins de 6 millions d’habitants, jadis considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. Victime d’une spectaculaire opération d’explosion de ses bipeurs et talkies-walkies attribuée à Israël, le Hezbollah – ...

Vaccin et vigilance

La résurgence de la coqueluche en France comme ailleurs en Europe a de quoi inquiéter. En France depuis le début de l’année, un total provisoire de 28 décès a été rapporté à Santé Publique France, dont 20 enfants (18 de moins de 1 an) et 8 adultes (de 51 à 86 ans mais dont la coqueluche n’était pas indiquée comme première cause de décès). La circulation de la bactérie Bordetella pertussis, principale cause de la coqueluche, est si importante que les autorités s’attendent à de nouveaux cas à venir dans les prochains mois. Car la coqueluche est extrêmement contagieuse, une personne contaminée pouvant transmettre la maladie à 15 autres en moyenne… Et si elle a longtemps été considérée comme une maladie de la petite enfance, elle peut être sévère à tous les âges, voire mortelle pour les nourrissons, non ou partiellement vaccinés, et les personnes à risque telles que les femmes enceintes et les personnes âgées. Ce n’est pas la première fois que l’on est confronté à une résurgence de la coqu...