La pièce que l’on retrouve sous son oreiller apportée par la petite souris lorsqu’enfant l’on vient de perdre une dent, le petit billet glissé par sa mamie ou son papy qui viendra compléter l’argent de poche parental, les pièces rouges qui traînent au fond du porte-monnaie et qui grossiront les collectes des "pièces jaunes", ou encore ces billets en euros que l’on change hors d’Europe dans d’autres monnaies que l’on conservera au retour, pour, qui sait, commercer une collection de numismate. Pas étonnant qu’une majorité de Français soit attachée à la monnaie, pièces et billets, tant elle convoque de souvenirs forcément sonnants et trébuchants. Même le chéquier, cet ancêtre de l’assignat, boudé chez nos voisins, reste toujours très employé en France.
Cet attachement au liquide n’empêche nullement d’utiliser les autres modes de paiements bien au contraire : la carte bancaire d’abord – dont on doit l’invention de la puce au Français Roland Moréno en 1974 – mais aussi les applications de paiement sur internet ou sur mobile comme Paypal ou Paylib, ou désormais les cryptomonnaies numériques comme le Bitcoin ou Ethereum qui ont quitté les rives du darkweb pour intéresser aujourd’hui les spéculateurs puis le grand public. Par sa facilité, sa traçabilité a priori bien utile pour pister les fraudes fiscales ou les circuits criminels de blanchiment, l’argent numérisé a tous les atouts pour remplacer l’argent liquide ; et les fintech – les start-up spécialisées dans les services financiers – comme Revolut ou N26, ne cessent de challenger les banques sur leur cœur de métier en rabotant les frais et commissions encore trop élevés que ces dernières font payer à leurs clients.
Alors le liquide est-il ringardisé au point de disparaître ? Pas encore et pour au moins deux raisons. D’abord, tout le monde n’a pas accès à ces services bancaires numérisés loin s’en faut et cette égalité est, pour l’heure, portée par la seule monnaie. Ensuite cette numérisation a attiré de plus en plus d’acteurs privés qui se posent en égaux des banques centrales et des Etats. Or battre monnaie est bien l’une des prérogatives des Etats. Le projet de Facebook de créer une monnaie pour ses membres, le Libra, a été le déclencheur d’une prise de conscience tardive mais salutaire : en matière de monnaie, dématérialisée ou liquide, ce sont bien les puissances publiques, seules dépositaires de la souveraineté populaire, qui peuvent garantir équitablement le service public d’accès à la monnaie.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 18 avril 2021)