Le retrait prochain des troupes américaines de Syrie, tel un jeu de dominos, a des répercussions profondes, dont le retour dans l'Hexagone de quelque 150 jihadistes français dont des familles jusqu'à présent détenus en Syrie et en Irak. Ainsi, la France vient d'être contrainte de changer de doctrine à leur égard. Jusqu'alors, en effet, le gouvernement français s'était toujours opposé à leur retour – sauf pour les mineurs –, estimant qu'ils devaient être jugés sur place et y purger leur peine, sous réserve de bénéficier d'un procès équitable. Désormais, le rapatriement de ces ressortissants français est inéluctable, fut-il facilité par des avions américains. Le retour de ces jihadistes constitue ainsi un véritable défi pour la France, mais aussi un casse-tête politique face à l'extrême sensibilité de l'opinion publique sur le sujet.
Car les Français restent durablement marqués par les attentats terroristes perpétrés par Daech sur notre sol, de l'attaque de Charlie Hebdo en janvier 2015 à celle du marché de Noël de Strasbourg en décembre dernier, en passant par les tueries du Bataclan ou de Nice. Dès lors, difficile d'avoir de la compassion pour des Français qui ont pris les armes contre leurs compatriotes en rejoignant les rangs d'une organisation terroriste, se faisant de fait acteurs ou complices des attentats qui ont frappé la France et qui, une fois arrêtés, en appellent non pas à un tribunal islamique mais à la justice de notre Etat de droit.
Quoi que l'on pense du comportement paradoxal de ces jihadistes, c'est justement cet Etat de droit qui est mis à l'épreuve aujourd'hui. Ce qui appelle de la responsabilité, du sang froid, de la hauteur de vue qui ont parfois fait défaut ces derniers jours. De la même façon que le débat sur la déchéance de nationalité avait fracturé la société durant le mandat de François Hollande, le sort des 150 jihadistes a suscité des propositions parfaitement déplacées de certains élus de droite en quête de buzz, qui se sont lancés dans une surenchère indigne. À l'image d'un député LR réclamant une «élimination ciblée» systématique, c'est-à-dire la peine de mort, abolie en France. Ou encore un Nicolas Dupont-Aignan qui voudrait rouvrir un bagne à Cayenne ou sur les îles Kerguelen… Les victimes du terrorisme et leurs familles méritent mieux que ces propositions incompatibles avec notre République.
« D'abord, ce sont des Français avant d'être des jihadistes » a d'ailleurs fort justement répondu le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, rappelant que c'était bien à la France – et à elle seule – de prendre ses responsabilités. En faisant en sorte que la justice s'exerce pleinement contre les jihadistes qui seront de retour – comme elle a su juger jadis les Français miliciens ou les collaborateurs de Vichy qui avaient, eux aussi, combattu la France libre. En imaginant de nouvelles solutions, dans ou hors des prisons, pour déradicaliser ces jihadistes. En sauvant enfin les enfants emmenés ou nés sur zone de guerre qui sont avant tout victimes des actes de leurs parents.
C'est en répondant à cette tâche immense que la France honorera ses valeurs et principes démocratiques que les terroristes voudraient nous voir abandonner, et qui sont notre force.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 9 février 2019)