« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » La célèbre phrase de Pascal a ceci de particulier que l'on peut l'appliquer à bien des sujets autres que celui de la religion auquel le savant l'avait circonscrite dans ses « Pensées ». Par exemple au sujet des températures printanières – et quasi estivales – que l'on constate depuis quelques jours en France.
Côté cœur, c'est tout simplement le bonheur de retrouver le soleil et la chaleur, comme un avant-goût de grandes vacances. Ce week-end, de Toulouse à Gruissan, de Montpellier aux Pyrénées, chacun a ainsi profité de ces rayons de soleil qui nous ont tiré de la grisaille et du froid de l'hiver. C'est peu dire que cela fait du bien, au moral… comme au commerce. Les cafetiers et même les glaciers ont retrouvé des couleurs sur leurs terrasses bondées et certains ont – presque – oublié les samedis de rideau baissé pour cause de manifestation de Gilets jaunes.
Dépasser 20 °C en plein mois de février illustre pourtant bien le réchauffement climatique qui devrait tous nous inquiéter. Depuis quelques années, les prévisionnistes de MétéoFrance constatent que les saisons, notamment la saison hivernale, sont de plus en plus courtes, que les périodes froides à l'intérieur de ces hivers se réduisent et sont parfois entrecoupées de périodes de douceur où l'on bat des records. D'ailleurs, 2018 est l'année la plus chaude depuis le début du XXe siècle, pour la France. Mais, las ! L'heure est au petit café en terrasse au soleil, pas aux réflexions sur le changement climatique.
Côté raison justement, il y aurait pourtant urgence à s'inquiéter. Semaine après semaine, les constats alarmants se multiplient : l'accord de Paris sur le climat, ce texte historique signé lors de la COP21, tarde à se concrétiser, les scientifiques tirent la sonnette d'alarme et présentent des scénarios qui laissent à penser qu'il est presque trop tard pour parvenir à limiter le réchauffement de la planète à 2 °C. Fin 2018, le cabinet B & L évolution, s'appuyant sur le dernier scénario proposé par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), a présenté les mesures à mettre en place pour s'aligner sur une trajectoire compatible avec + 1,5 °C en France. Autant dire que les changements à opérer sont radicaux : la diminution par deux des trajets en voiture, l'interdiction des vols long-courrier non justifiés en 2020, la suppression des vols intérieurs en 2022, la limitation à 1 kg de vêtements neuf par an et par personne d'ici 4 ans, ou l'instauration d'un couvre-feu thermique entre 22 heures et 6 heures en 2025. Le cabinet reconnaît que son scénario est «peu réaliste» mais il permet de mesurer l'ampleur des efforts à faire.
Alors entre le cœur qui permet de profiter d'une après-midi d'été insouciante en plein mois de février et la raison qui nous imposerait d'opérer des changements radicaux, il existe sans doute un chemin médian. Celui du respect par les Etats de l'accord de Paris associé à une réelle prise de conscience citoyenne. Les jeunes lycéens qui feront une grève pour le climat le 15 mars l'ont compris et nous montrent ce chemin de crête pour démentir les sombres scénarios. Car « il n'est pas certain que tout soit certain » ; c'est Blaise Pascal qui l'assurait.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 27 février 2019)