Les Français qui vont faire leurs courses ce week-end vont constater une hausse significative des prix de certains produits alimentaires de grandes marques. Une hausse qui s'établit en moyenne à 6,3 % et qui est la conséquence directe d'une mesure-clé de la loi Alimentation qui entre en vigueur ce 1er février : les enseignes n'ont plus le droit de vendre à prix coûtant et le seuil de revente à perte est relevé de 10 %. Cette mesure a été prise pour tenter d'en finir avec la guerre des prix à laquelle se livrent les tout-puissants géants de la grande distribution et pour que, in fine, les producteurs soient enfin mieux rémunérés.
Si l'intention était évidemment louable au moment de l'adoption de la loi, c'est peu dire qu'elle tombe mal. Alors que la crise des Gilets jaunes a démarré après la hausse de quelques centimes du prix du litre des carburants, la hausse de prix de nombreux produits alimentaires ne va-t-elle pas raviver l'exaspération des Français, au moment même où la question du pouvoir d'achat est centrale dans les revendications des Gilets jaunes et présente dans nombre de contributions du Grand débat national ? Le gouvernement a d'ores et déjà pris les devants, précisant que ce qu'il demandait aux grandes surfaces était simplement de trouver un moyen de répartir les marges différemment. Les grandes enseignes se sont de leur côté lancées dans des opérations d'explication de ces hausses de prix… mais aussi dans une nouvelle guerre des prix, cette fois sur leurs propres marques de distributeurs, s'appuyant par ailleurs sur leur système de cartes de fidélité.
Plus largement, la hausse de ce vendredi (re) pose la question de ce qu'est un juste prix. C'est-à-dire un prix qui reflète au plus près la valeur d'un bien, un prix qui permette la juste rémunération de celui qui l'a produit, un prix acceptable pour le budget de chaque ménage. Ces dernières années, ce triptyque a souvent été déséquilibré dans tous les secteurs par la course folle aux prix les plus bas, aux promotions les plus fortes, fussent-ils en trompe-l'œil. Car la numérisation de la société et l'ubérisation de pans entiers de l'économie, ont accéléré le mouvement, au prix souvent de plus de précarité et donc pour certains d'un pouvoir d'achat revu à la baisse. Un cercle vicieux qu'il convient de rompre.
Si certains en appellent à une décroissance radicale, il convient aux pouvoirs publics de créer les conditions à l'émergence du juste prix. Au niveau national ou européen, il s'agit d'une part de mettre en place une régulation qui permet d'atténuer les effets pervers de la course aux prix bas ; autrement dit ne pas laisser la «main invisible» du marché, théorisée par le père du libéralisme Adam Smith, comme seul mécanisme autorégulateur. Et d'autre part de mener les politiques économiques qui, en tenant compte du poids des dépenses contraintes dans le budget des foyers, permettent un maintien voire une hausse – réelle – du pouvoir d'achat.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 1er février 2019)