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Sortir du diagnostic

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En 1995, Jacques Chirac lance sa campagne présidentielle avec une expression qui sera son marqueur dans la course à l'Elysée pour ne pas dire son slogan : la fracture sociale. En 2003, un an après son élection face à Jean-Marie Le Pen, il reviendra d'ailleurs dessus, estimant que cette fracture sociale – contre laquelle il avait finalement peu fait durant son premier mandat – menaçait «de s'élargir en une fracture urbaine, ethnique et parfois même religieuse.»

En 2004, le géographe Christophe Guilluy publie « Atlas des nouvelles fractures sociales », coécrit avec Christophe Noyé, puis en 2010, « Fractures françaises ». Deux ouvrages dans lesquels le chercheur explore le thème de la France périphérique, ces zones périurbaines qui s'étendent à l'ombre des grandes villes et jusqu'au milieu rural et qui prennent de plein fouet les conséquences de la mondialisation dont elles sont les perdantes. Avec un corollaire : cette France des invisibles se réfugie de plus en plus dans le vote protestataire.

À l'automne 2018, un mouvement aussi inédit, insaisissable que protéiforme, émerge de la colère contre la hausse des taxes sur le carburant : les Gilets jaunes envahissent les ronds-points et défilent depuis le 17 novembre chaque samedi pour réclamer plus de considération pour la France d'en bas, pour la France rurale. Celle de la «diagonale du vide» où la voiture est seule à permettre la mobilité, notamment pour rejoindre des services publics de moins en moins nombreux.

Trois époques, trois moments, trois aspects (politique, sociologique, sociétal) d'un même problème qui montrent que, depuis les années 90, les fractures françaises, sociales, sociétales, démographiques, territoriales, fiscales, numériques, loin de se résorber, se maintiennent voire s'approfondissent. Le dernier baromètre des territoires publié aujourd'hui, réalisé par Elabe et l'institut Montaigne, en partenariat avec La Dépêche, ne dit pas autre chose. Au-delà du cocon familial et du cercle proche dans lesquels les Français puisent tous leur bonheur personnel, le fossé se creuse entre «une France qui va plutôt bien et a pu tirer parti des évolutions, et une France qui se sent mise à l'écart et a le sentiment de perdre sur tout ou partie des tableaux.»

Vingt-quatre ans – presqu'un quart de siècle ! – après la «fracture sociale» chiraquienne, il devient désormais urgent de sortir du diagnostic incantatoire pour enfin trouver des solutions concrètes, partagées et surtout acceptées par tous. Une urgence d'autant plus prégnante que ces fractures françaises qui perdurent commencent à abîmer notre socle républicain bâti sur l'égalité et la fraternité. L'envie même de faire nation s'effrite ; on le voit avec l'inquiétante augmentation des propos haineux.

Emmanuel Macron, qui avait pourtant su durant sa campagne présidentielle diagnostiquer lui aussi ces fractures, n'est certes pas comptable de 25 ans d'atermoiements. Mais en tant que Président en exercice, il lui appartient de dégager les pistes pour commencer à ressouder le pays, à réconcilier les Français autour de ce qu'Ernest Renan appelait dans sa célèbre conférence « Qu'est-ce qu'une nation ? », «le désir de vivre ensemble»...

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 19 février 2019)

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