L'enquête sur le complotisme que viennent de publier la Fondation Jean-Jaurès et l'organisme Conspiracy watch est capitale dans le sens où elle permet de mettre des chiffres sur un phénomène ancien dont l'ampleur constitue désormais une réelle menace pour la démocratie, en France comme ailleurs dans le monde.
Jusqu'à présent, les thèses complotistes restaient circonscrites à quelques cercles d'hurluberlus, particulièrement aux Etats-Unis où, au nom du premier amendement de la Constitution qui garantit une absolue liberté d'expression, tout un tas de théories ont pu se développer sans ambages. La Terre est plate, le monde est gouverné par la secte des Illuminati, les Américains ne sont jamais allés sur la Lune, etc.
Une digue contre ces élucubrations avait été bâtie au fil des ans par la classe politique dans sa majorité et par les médias. Cette digue a commencé à se fissurer en 2016 au moment de la campagne électorale présidentielle américaine qui a vu la victoire inattendue du populiste Donald Trump et l'émergence du phénomène des fake news, ces fausses nouvelles relayées et amplifiées par les réseaux sociaux, notamment ceux de l'ultra-droite, sur fond de défiance envers les médias. Le 20 janvier 2017, jour de l'investiture de Donald Trump, est, à cet égard, devenu une date clé. En dépit de photos qui attestaient le contraire, Trump a maintenu qu'il y avait plus de public pour son investiture que pour celle de Barack Obama. Sa conseillère en communication Kellyanne Conway justifia alors l'appréciation mensongère du nouveau président comme relevant de… «faits alternatifs». Depuis 2017, le monde est ainsi entré dans une ère de post-vérité que l'enquête de la Fondation Jean-Jaurès et de Conspiracy watch illustre parfaitement.
Car cette ère de la post-vérité ne concerne d'ailleurs pas que les Etats-Unis. Du Brésil de Bolsonaro au Venezuela de Maduro, du Royaume-Uni du Brexit aux mensonges proférés par certains candidats lors de l'élection présidentielle française, les démocraties chancellent, y compris les plus établies. Elles sont bousculées par les ingérences étrangères, russes notamment, et font face désormais non plus seulement aux fake news mais aux… hate news, des messages de haine qui ciblent certains groupes de discussions dans le seul but de créer des tensions, hystériser les conflits, empêcher le débat…
Face à ce sombre tableau, il est temps de réagir, car tout n'est pas perdu. Les politiques doivent restaurer les conditions d'un débat serein et arrêter sans doute de succomber à la tentation des petites phrases qui buzzent et qui divisent ; et par ailleurs mettre en place des politiques de formation et d'éducation des citoyens aux enjeux numériques, dès l'école. Les réseaux sociaux doivent – enfin – prendre leurs responsabilités ou être contraints de le faire par la loi, car cela fait longtemps qu'ils ne sont pas que des plateformes d'hébergement mais clairement des éditeurs voire des prescripteurs qui enferment leurs membres dans de dangereuses bulles de filtre. Ensuite les médias doivent faire leur autocritique pour retrouver la confiance du public ; les opérations de lutte contre les fake news en sont une première étape. Enfin, il appartient à chaque citoyen de s'impliquer, individuellement, pour ne pas relayer tout et n'importe quoi. Car préserver la démocratie est l'affaire de tous.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 7 février 2019)