Accéder au contenu principal

Colères



Le mouvement des Gilets jaunes, on l'a dit maintes fois est inédit. Inédit dans son mode d'action avec l'occupation de ronds-points et des manifestations hebdomadaires chaque samedi depuis le 17 novembre 2018 ; inédit par sa composition sociologique avec des femmes et des hommes qui s'estimaient – et s'estiment toujours – méprisés, oubliées et invisibles ; inédit par sa défiance radicale envers les élites, les politiques, les syndicats ou les médias. Mais ce mouvement est aussi inédit par ses conséquences directes sur la marche du pays.

Certes, toute manifestation ou journée de grève recherche bien souvent la paralysie de l'activité comme moyen de pression pour faire avancer des revendications. Mais là où cette paralysie, orchestrée par des syndicats structurés, est habituellement limitée dans le temps, elle semble sans fin pour le mouvement protéiforme des Gilets jaunes. Depuis 13 semaines, en effet, les manifestations se succèdent, perturbant l'activité économique et commerciale, mais aussi laissant derrière elles des dégâts considérables sur le mobilier urbain, les bâtiments publics ou privés. Des dégradations, dont le coût se chiffre désormais en dizaine de millions d'euros, perpétrées par des casseurs qui infiltrent les cortèges et passent à l'action en fin de journée.

Dès lors à la colère – légitime – des Gilets jaunes réclamant plus de justice sociale et fiscale répond une autre colère : celle des maires des villes balafrées, et celle des commerçants contraints chaque semaine à baisser le rideau. Les premiers ont chiffré les dégâts à une trentaine de millions d'euros et demandent à l'Etat, garant de l'ordre public, d'indemniser les communes pour éviter que celles-ci ne sabrent dans leur budget. Les seconds, qui ont vu leur chiffre d'affaires baisser de 20 à 60 % et ont dû mettre au chômage technique quelque 70 000 salariés en France, voire en licencier certains, demandent au gouvernement d'aller au-delà des aides et étalement de charges déjà annoncés.

Le gouvernement, qui a lancé le Grand débat pour répondre à la colère des Gilets jaunes, doit entendre aussi la colère de ces maires toutes tendances confondues et de ces commerçants à bout qui ont manqué la traditionnelle embellie des fêtes de fin d'année. Une première réunion a – enfin – été organisée, hier à Bercy, par Bruno Le Maire. Le ministre de l'Economie a promis qu'un plan d'action sera transmis au Premier ministre «d'ici 15 jours à 3 semaines». Un plan encore flou et un délai technique peu en phase avec l'urgence des demandes…

Car que ce soit pour les revendications des Gilets jaunes comme pour les indemnisations des communes ou commerçants, l'Etat devrait se garder de trop jouer la montre et apporter rapidement des réponses claires, financières et surtout politiques, pour éviter l'addition des colères.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 14 février 2019)

Posts les plus consultés de ce blog

Entaché

Dix ans après son départ du gouvernement Ayrault, Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre du Budget de François Hollande, envisage-t-il son retour en politique ? En tout cas l’intéressé, condamné en appel à deux ans de prison pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, et frappé de cinq années d’inéligibilité, était hier sur le marché de Monsempron-Libos, non loin de Villeneuve-sur-Lot, la ville dont il a été le député et le maire.Fin octobre déjà il participait à une réunion, organisée à huis clos, quelques semaines après le lancement d’une association politique «Les amis de Jérôme Cahuzac». Récemment interrogé par Sud-Ouest pour savoir s’il préparait son retour politique, le septuagénaire, qui avait élu domicile en Corse où il pratiquait la médecine à l’hôpital de Bonifacio, s’est borné à répondre que «tout est une question de circonstances», faisant remarquer qu’ «on fait de la politique pour être élu et agir» et qu’il n’y avait pas d’élections avant 2026, date des prochaines m

Grandiose !

  Cent ans après les JO de Paris de 1924, les XXXIIIes Jeux Olympiques d’été de l’ère moderne se sont ouverts hier dans la Capitale au terme d’une cérémonie d’ouverture exceptionnelle qui est entrée dans l’histoire en en mettant plein les yeux au monde entier. Les athlètes ont défilé non pas dans un Stade olympique mais en bateau, sur la Seine, sur un parcours rythmé par une mise en scène de toute beauté mettant en valeur la France, son patrimoine, son Histoire, ses talents, avant de rejoindre le Trocadéro devant une Tour Eiffel parée des anneaux olympiques. Nul doute que cette cérémonie réussie, émouvante, populaire, inédite, fera date en se rangeant dans la longue liste des défilés qui ont marqué les JO mais aussi l’histoire de notre pays, de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 à celle pour le Bicentenaire de la Révolution française en 1989, en passant par la Libération de Paris dont on va bientôt célébrer les 80 ans. Cette cérémonie ponctue plusieurs années de préparation po

Guerres et paix

La guerre menace encore une fois le Pays du Cèdre, tant de fois meurtri par des crises à répétition. Les frappes israéliennes contre le sud du Liban et les positions du Hezbollah ravivent, en effet, le spectre d’un nouveau conflit dans cette Terre millénaire de brassage culturel et religieux. Après quinze années de violence qui ont profondément marqué le pays et ses habitants (1975-1990), la paix est toujours restée fragile, constamment menacée par les ingérences étrangères, les divisions communautaires et une classe politique corrompue. La crise économique sans précédent qui frappe le pays depuis 2019, puis l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en 2020, symbolisant l’effondrement d’un État rongé par des décennies de mauvaise gouvernance, ont rajouté au malheur de ce petit pays de moins de 6 millions d’habitants, jadis considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. Victime d’une spectaculaire opération d’explosion de ses bipeurs et talkies-walkies attribuée à Israël, le Hezbollah –