Voilà un scénario qui semblait impensable à voir en Europe : tout un pays, puis un deuxième, privés d’électricité pendant plusieurs heures et devenus ainsi spectateurs de leur paralysie. Plus de transports, de train ou de métro, plus de télévision, d’internet ou de téléphone mobile, plus de système de paiement par carte bancaire ou d’ascenseurs, des commerces à l’arrêt, des supermarchés évacués en urgence, des facultés renvoyant leurs étudiants chez eux, des hôpitaux fonctionnant au ralenti sur leurs groupes électrogènes, etc. Et dans les rues, des scènes insolites d’habitants inquiets en quête d’informations, agglutinés autour d’un bon vieux poste de radio à piles, seul appareil capable de recevoir les informations qui arrivent d’habitude si naturellement par des notifications sur les smartphones.
L’Espagne et le Portugal, mais aussi toute l’Europe avec eux, ont mesuré lundi et hier combien nos sociétés hyperconnectées sont fragiles, combien le réseau électrique – cette colonne vertébrale dont on oublie l’existence – peut être un talon d’Achille pour l’activité économique comme pour la vie tout court.
Peu importe à vrai dire le scénario qui sera retenu pour expliquer ce qui s’est passé, l’enchaînement des dysfonctionnements et blocages qui ont conduit deux pays au bord du chaos. Le black-out de la péninsule ibérique, historique par son ampleur, doit sonner comme un signal d’alerte pour les Européens. Si ces derniers mois, ils se sont engagés dans l’édification d’une défense commune avec un plan de réarmement de 800 milliards d’euros, nécessaire pour faire face à la nouvelle donne géopolitique mondiale, ils peuvent d’ores et déjà s’interroger sur les financements qui doivent être mobilisés pour entretenir, moderniser et sécuriser les réseaux électriques européens et les moyens de production.
Il est évidemment heureux de constater que la solidarité européenne a parfaitement joué son rôle pour sortir l’Espagne et le Portugal de l’ornière, mais face aux besoins en électricité de demain, pour les voitures électriques comme pour les centres de données de l’intelligence artificielle, il y a urgence à faire plus pour bâtir des réseaux efficaces et sûrs, en ayant qui plus est à l’esprit la nécessité qu’on ne saurait oublier la transition énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique.
Le black-out en Espagne et au Portugal interroge évidemment aussi en France, ou la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPR) a fait lundi l’objet d’un débat très politicien à l’Assemblée nationale. L’organisation de notre réseau fait qu’un black-out aussi important que celui de lundi semble peu probable. Il n’empêche que dans son « Schéma décennal de développement du réseau » qui fixe les orientations pour l’évolution du réseau public de transport d’électricité à l’horizon 2040, RTE décrit des mesures pour éviter un black-out. RTE vise une résilience accrue du réseau par la modernisation massive des infrastructures électriques et télécoms, l’industrialisation du pilotage local automatisé, la sécurisation face aux risques extrêmes (black-out, cyberattaque) et une optimisation fine de l’exploitation du réseau existant. Tout cela a évidemment un coût.
Mais au-delà du transport de l’électricité, c’est bien sûr la production d’électricité qui est au cœur des enjeux. La France doit ainsi s’interroger sur sa production dans laquelle le nucléaire – dont le parc existant pourrait être davantage exploité – joue un rôle clé à côté des autres énergies renouvelables. Ce sujet mérite un vrai débat.. éclairé.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 30 avril 2025)