Après la pandémie de Covid-19 qui l’avait durablement ébranlé, le secteur aérien mondial entre dans une nouvelle zone de turbulences qui aurait pu être évitée puisqu’elle n’est le fait que de la décision d’un seul homme : Donald Trump. Le président américain s’est, en effet, lancé dans une guerre commerciale globale en rehaussant les taxes douanières de tous les produits entrants aux États-Unis, après de nébuleux calculs dont certains disent qu’ils viennent d’une formule concoctée par une intelligence artificielle. Mais à peine Donald Trump avait-il annoncé ses surtaxes de 10 à 57 % début avril qu’il décrétait, devant l’effroi des milieux économiques et les chutes des Bourses, une pause de 90 jours en les ramenant à 10 % sauf pour la Chine. L’ennemi commercial des États-Unis a écopé de 145 %, un taux qui peut atteindre 245 % dans certains secteurs. Sans surprise, Xi Jinping a pris des mesures de rétorsion en taxant les produits américains à 125 %.
Donald Trump, qui estime avoir réussi son coup en obligeant les pays à venir négocier en tête à tête des conditions plus avantageuses, espère sortir vainqueur de son bras de fer avec la Chine. Le président américain est persuadé qu’il ouvrira un nouvel âge d’or pour l’Amérique en s’inspirant de l’un de ses prédécesseurs, McKinley, qui avait lui aussi augmenté les droits de douane… avant toutefois de reconnaître qu’ils avaient nui à l’Amérique. Un siècle plus tard, cette vieille recette protectionniste ne marchera pas davantage, d’autant plus que l’économie mondiale est aujourd’hui globalisée et les chaînes de valeurs profondément imbriquées. Donald Trump s’est déjà heurté à cette réalité-là en revenant sur les taxes concernant les produits high-tech comme les iPhone, fabriqués en Chine et en Asie non pas seulement parce que le coût du travail y est moindre qu’aux États-Unis, mais parce que ces pays disposent désormais d’ingénieurs de haut niveau et d’un savoir-faire incontournable, comme l’a expliqué récemment Tim Cook, le PDG d’Apple.
Il en va pareillement avec le secteur aérien. Boeing, fragilisé ces dernières années par d’innombrables déboires techniques, dispose de chaînes de production mondialisées, avec de nombreux composants importés des pays désormais visés par des droits de douane. Cela renchérira le coût de fabrication de chaque appareil, rendant l’avionneur moins compétitif même sur son propre marché. Boeing mise principalement sur la localisation de sa chaîne d’approvisionnement, la gestion proactive des stocks et la flexibilité commerciale pour amortir l’impact des droits de douane, mais que faire face aux représailles de Pékin qui a décidé de suspendre toute réception d’avions fabriqués par l’Américain mais aussi d’interdire l’importation de pièces détachées ? Air China, China Eastern Airlines et China Southern Airlines ne réceptionneront pas respectivement 45, 53 et 81 appareils que Boeing devait leur livrer entre 2025 et 2027. Un coup dur financier mais aussi économique à plus long terme, car Boeing ne peut pas se priver du marché chinois, amené à devenir le premier mondial d’ici quelques années.
Reste que la décision de Pékin est à double tranchant. Si elle déclenche une catastrophe financière et industrielle chez l’avionneur américain, elle fragilise aussi les compagnies chinoises qui ne pourront pas répondre à la forte demande domestique. Airbus ne peut pas compenser les commandes et une absence de Boeing, et les avions chinois ne sont pas prêts.
Au final, Donald Trump – qui a décidé de surtaxer l’aérien au mépris d’ailleurs de l’accord sur le commerce des aéronefs civils, entré en vigueur en janvier 1980, qui instituait une absence de droits de douane – devra sortir de sa réalité alternative et revenir à la réalité du monde tel qu’il est…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 18 avril 2025)